Aïe mes oreilles

- Ko je sors ! cria Kaito à son jumeau en s'emparant de sa guitare qui trainait dans l'entrée.

Il ne reçut aucune réponse. À tous les coups il était au téléphone avec sa dernière victime en date. Qui ne se doutait pas de ce qui l'attendait car après tout, en regardant Koya, on lui aurait sans hésitation donné le bon dieu sans confession. Il semblait tellement doux et sage... mais l'ainé des deux savait que ce n'était qu'une apparence car son frère aimait jouer avec les garçons comme un chat avec une souris. Enfin... au début du moins. Il n'était pas pressé que la deuxième partie arrive car il devrait le ramasser à la petite cuillère comme à chaque fois.
Il rebroussa chemin et ouvrit la porte de la seconde chambre. En effet, Koya était assis sur son lit, portable en main. Pour lui faire comprendre qu'il sortait sans troubler sa conversation, il leva un peu sa guitare et son jumeau répondit en faisant un cercle avec le pouce et l'index de sa main droite.

- Très bien alors on fait comme ça. A tout à l'heure Azuma-kun, j'ai hâte de te voir, dit le plus jeune à son interlocuteur de son habituelle voix charmeuse, avant de raccrocher et de se tourner vers son frère. Tu vas encore casser les oreilles des oiseaux et des passants ? Tu as pas pitié hein Kai ?
- Tu peux parler. Moi je me contente de m'entraîner à la guitare. Tu l'as trouvé où cet Azuma-kun dont j'avais jamais entendu parler ?
- Dans la rue. Il m'a abordé.
- Abordé comme ça ?
- C'est un rabatteur pour un club.

Kaito leva les yeux au ciel.

- Ko tu devrais vraiment faire gaffe. A force de jouer avec tout le monde tu vas vraiment finir par t'attirer des ennuis plus graves que des peines de cœur. Il a quel âge celui-là ?
- Je sais pas. La trentaine peut-être. Qu'est ce que ça peut faire de toute façon ?

Un soupir franchit les lèvres de Kaito.

- Bon si tu as un problème, appelle-moi ok ?
- Mais oui... Allez va-t-en, faut que je me prépare.

L'aîné s'apprêtait à répliquer, mais il abandonna. De toute façon son frère ne comprendrait que le jour où il se brûlerait sérieusement les ailes. Jusque là, tout ce qu'il pourrait dire rentrerait par une oreille et ressortirait par l'autre.
Il referma donc la porte de la chambre et alla mettre ses chaussures puis quitta l'appartement pour gagner la rive du lac Biwa. C'était le seul endroit dans lequel il pouvait vraiment s'entraîner parce que c'etait impossible chez eux à cause des voisins... et pourtant il avait bien besoin de s'exercer. Cette histoire de guitare l'avait pris quelques semaines auparavant, juste après le récital de violon que Koya avait donné. Il avait toujours envié le talent musical de son jumeau et, désireux de faire lui aussi ses preuves dans le domaine, s'était lancé sans aucune préparation. Et le moins qu'on pouvait dire était qu'il n'était pas bon. C'était même un euphémisme car il était vraiment mauvais. Mais il continuait pourtant de s'exercer, certain de réussir à s'améliorer à un moment donné.
Arrivé dans le parc, il se rendit à son endroit préféré, près de la grande fontaine et prit place sur son bord pour commencer à l'accorder. Quelques minutes plus tard, il se lançait. Ses accords étaient malhabiles et sa voix, quand il chantait, tenait plus du croassement du corbeau, mais cela n'empêcha pas les personnes présentes sur le site de se regrouper autour de lui. Levant les yeux de sa guitare, il repéra une jolie fille et se mit à lui faire du charme sans cesser de jouer. Il tenait peut-être là sa nouvelle conquête. Il aimait bien le genre mignon alors...

Le temps semblait s'écouler si lentement pour Yukio, que cette journée lui semblait infinie. Pour quelle raison ? Il ne saurait le dire. Pourtant lui trouvait toujours de quoi s'occuper s'ennuyait ferme en ce moment. Trainer en ville ne lui disait rien, trop de monde, il avait besoin de calme. Rester seul chez lui ? Non il avait besoin d'air. Aller dans le petit parc près de chez lui ? Trop de monde qu'il connaissait, trop d'enfants bruyants à cette heure. Il avait besoin d'un endroit où il pourrait chanter à tue-tête sans que personne ne lui fasse de remarque, être dans son monde sans en être dérangé. Un endroit correspondait bien à ses attentes, le lac Biwa. Il était tellement grand ce lac qu'il trouvait toujours un petit coin tranquille quand il y allait. Un de ses endroits préférés était non loin d'une fontaine, calme et magnifique endroit, très reposant.

Yukio attrapa la laisse de son petit Suishou d'amour, prit le petit chiot dans ses bras et sortit de son appartement, la musique dans les oreilles. Sa playliste contenait beaucoup de styles différents, mais en ce moment, il aimait beaucoup écouter un groupe de métal Italien au style médiéval fantastique, dont le chanteur avait une voix forte qu'il aimait bien. Il ne comprenait bien aux paroles, mais essayait tout de même de chanter dans cette langue si éloignée du japonais, l'italien. Leurs autres chansons en anglais, il y parvenait un peu mieux à les chanter, mais celles en italien…

Dans le bus, il se contenta de fredonner en sourdine les paroles, jouant doucement avec Suishou, blottit sur ses genoux. Une fois dans le parc entourant le lac, un sentiment de liberté l'envahit aussitôt et un immense sourire fleurit sur ses lèvres. Il détacha son petit chiot pour le laisser gambader librement. Dans ses oreilles, la musique se fit un peu plus forte,  de même que sa voix reproduisant les paroles qu'il entendait. Il erra un moment en chantant, jusqu'à retrouver son coin favori, non loin d’une fontaine. Il remarqua du coin de l'œil un petit attroupement, mais n'y fit pas attention, une nouvelle chanson commençait, une de ses préférées, en italien celle-ci, et il tenta de la suivre. Les couplets furent laborieux, mais il se rattrapait dans les refrains, laissant sa voix claire s'envoler au gré des notes de musique qui résonnaient dans ses oreilles.

A la fin de la chanson, il revint sur terre et rouvrit les yeux entendant Suishou japper joyeusement. Il remarqua alors qu'il était tout près de la fontaine ou était installé un jeune homme avec sa guitare, au milieu d'un petit attroupement. Et son petit chiot blanc avait grimpé sur les genoux du jeune homme, semblant vouloir jouer avec lui, tout content de s'être fait un nouvel ami…

« Suishou… Reviens ici… »

S'approchant rapidement du jeune homme, Yukio ne fit pas attention aux gens qui les entouraient. Il n'était pas dans ses habitudes de déranger les personnes visiblement occupées, mais là,  son petit chiot semblait en avoir décidé autrement. Il s'arrêta alors près du  jeune homme avec un grand sourire lumineux et essaya dd récupérer sa boule de poils, qui ne semblait pas décidé à bouger.

« Suishou… Petit coquin… Descend de ce jeune homme… Non pas la peine de me regarder comme ça. .. Rhoo arrête avec ta bouille adorable… Désolé Monsieur… Je crois que mon chiot vous aime bien. Il ne vous dérange pas trop j'espère ? » Ajouta-t-il à l'adresse du jeune homme, avant de reprendre. « Ouah elle est belle votre guitare… Vous savez bien en jouer ? » Demanda-t-il naïvement.

Kaito plaquait laborieusement les derniers accords et s'apprêtait à se lever pour adresser la parole à la charmante jeune fille qui ne l'avait pas quitté des yeux, lorsqu'un japement se fit entendre à répétition et un espèce de boule de coton à quatre pattes fondit sur lui, sautabt sur ses genoux sans autre forme de procès. Réalisant soudain qu'il s'agissait d'un chien, la panique le submergea, mais elle le figea aussi sur place aussi sûrement que s'il était une statue. Il avait horreur des chiens. Quand il en apercevait un dans la rue, il se dépêchait de changer de trottoir ou alors il faisait un détour, quitte à ce que celui-ci le déporte de plusieurs centaines de mètres de son itinéraire d'origine. En fait ils le terrorisaient depuis que, enfant, il s'était retrouvé poursuivi par un affreux berger allemand. A l'époque il s'était enfui, trouvant refuge dans un arbre en attendant que ne molosse se lasse et s'en aille... mais là il était littéralement paralysé. Il n'était pas du genre à faire une crise de nerfs et n'avait d'ordinaire pas des réactions de fillette... sauf quand il s'agissait de chiens et ce quelle que soit leur race ou leur taille. Mais... où était le propriétaire de cette calamité à pattes ?!
C'est alors que, du coin de l'œil, il vit arriver ledit propriétaire. Un jeune homme qui devait avoir à peu près son âge mais dont le visage adorable rivalisait sans souci avec celui de la jeune fille qui occupait ses pensées jusque là. Enfin jusqu'à l'arrivée du chien.

- Vous... pouvez retirer ce truc de sur moi s'il vous plait ? demanda-t-il d'une voix pas du tout assurée contrastant étrangement avec son assurance précédente et avec le regard de lover qu'il arborait quelques instants auparavant.

En plus l'animal avait la gueule bien trop près de son visage. Si l'envie lui en prenait, il pouvait  parfaitement le mordre à la gorge et il se viderait de son sang sans rien pouvoir y faire. Le fait que la chose cotonneuse soit mignonne ne changeait pas la taille de ses crocs et il avait beau éloigner son visage le plus possible du danger, celui-ci restait omniprésent. Pourquoi le maître ne le récupérait pas ? Il ne voyait pas sa réaction ou quoi ? En plus, depuis le début de l'incident, le petit groupe qui l'écoutait s'était dispersé et même elle était partie puisqu'il ne lui prêtait plus d'attention. Ca agaçait hautement Kaito mais il ne pouvait rien faire avec cette bête sur lui.

Yukio était happy. Il ne pensait pas qu'en venant au lac il aurait la chance de croiser un musicien avec qui il aurait l'occasion de parler. En plus c'était un jeune homme très beau et Suishou semblait bien l'aimer. Que demander de plus ? Il n'avait pas eu l'occasion de l'entendre jouer de sa guitare, ayant la musique à fond dans les oreilles. Mais qu'importe, il pourrait l'entendre plus tard. Un grand sourire adorable ornait ses lèvres alors qu'il s'approchait encore du jeune homme. Cependant, quelque chose dans son attitude attira son attention, il ne semblait pas aller bien.

« Est-ce que ça va ? Vous semblez pâle ? »

La réponse ne se fit pas attendre, apparemment la présence de son petit chiot le gênait. Comment pouvait-il avoir peur d'une petite boule de poils aussi kawaii ? C'en était presque attendrissant. En riant doucement, il tendit les bras pour attraper son chien, qui eut tout de même le temps de lécher la joue du jeune guitariste.

« Suishou voyons… N'embête pas ce jeune homme, tu vois bien que tu lui fais peur. Non ne me fais pas ta bouille comme ça, il ne faut pas l’embêter. » Il serra son chiot dans ses bras et s'inclina devant le guitariste. « Désolé, je ne pensais pas qu'il viendrait vous embêter comme ça. Mais ne vous inquiétez pas, il est très gentil. »

Yukio s'installa alors sur le bord de la fontaine, à côté du guitariste. Suishou posé sur ses genoux, il s'amusait avec lui en riant doucement. Un petit moment plus tard, il releva les yeux vers son voisin avec un grand sourire,

« Elle est très jolie votre guitare. Vous ne voulez pas m'en jouer un peu ? »

Il sembla à Kaito que le garçon mettait un temps infini à reprendre son chien mais il finit pourtant par le faire non sans avoir innocemment posé une question dont la réponse était pourtant évidente : évidemment qu'il n'allait pas bien ! Il était aveugle ou débile pour ne pas s'en rendre compte ?! En temps normal, c'est ce que le jeune homme qui ne mâchait pas ses mots aurait vertement répondu, mais à en juger par son cœur qui battait encore à toute allure, il n'était pas encore remis de la frayeur qu'il venait d'avoir. Et il n'allait même pas pouvoir vraiment se calmer puisque la bestiole même si elle n'était plus sur lui, restait dangereusement proche : son maître, qui venait pourtant de s'excuser que son animal lui ait fait peur, s'était assis près de lui et jouait avec, complètement aveugle à son malaise persistant (surtout après le coup de langue. Yeurk...) Jamais Kaito n'avait vu une chose pareille, on aurait dit un enfant. Il en avait d'ailleurs le visage. C'était un collegien ? Oui probablement même s'il était aussi grand que lui. Les enfants, de nos jours, étaient plus grands qu'avant. Et cet enfant était bien audacieux en plus de s'adresser aussi informellement à un adulte. En tant que cadet de la famille, Kaito n'était pas vraiment à cheval sur l'étiquette, mais l'histoire avec le chien l'avait passablement énervé et il ne se sentait plus franchement d'humeur à amuser un gamin. Il se leva donc en empoignant ladite guitare et toisa vaguement son jeune interlocuteur.

- Ecoute petit... Pour commencer, tu devrais être en classe à cette heure-ci au lieu de balader un chien, lui dit-il sèchement. Ensuite, quand on est poli ce n'est pas comme ça qu'on s'adresse à un aîné, tu aurais du m'appeler "onii-san". Et troisièmement... après que ta bestiole m'ait sauté dessus, tu crois vraiment mériter en récompense de m'entendre jouer ? (Il soupira) Allez rentre chez toi, tu m'as assez fait perdre mon temps.

Il était plutôt content de la façon dont il lui avait répondu. Il n'avait pas voulu être méchant avec le garçon parce que c'était juste un môme mais il fallait lui faire comprendre qu'il devait le respect à ses aînés. Qu'est ce que ses parents lui apprenaient à ce mioche ? Si lui, Koya ou Kanon s'était avisé de parler aussi informellement à un aîné, leurs parents ne l'auraient pas laissé passer. Mais puisque apparemment, personne ne l'avait fait comprendre au garçon, il était de son devoir de le faire.
Il se détourna donc et commença à s'éloigner à regret de son endroit favori, quand des aboiements se firent entendre et le chien, qui venait une nouvelle fois d'échapper à son jeune maître courut vers lui et courut jusqu'a lui, sautant autour de ses jambes en jappant joyeusement.

Yukio espérait vraiment que le jeune homme accepterait de jouer un peu de sa guitare. C'était rare pour lui de pouvoir discuter avec un musicien, et cette idée le rendait vraiment joyeux. La musique était vraiment ce qui le faisait le plus vivre, c'était son oxygène, alors pouvoir le partager avec quelqu’un d'autre,  c'était ce qu’il y avait de mieux. Sur son petit nuage, Yukio ne se rendait pas compte de l'état dans lequel se sentait l'autre jeune homme, il continuait à jouer avec Suishou, qui semblait vouloir retourner jouer avec son nouvel ami.

« Petite fripouille… Reste tranquille voyons… Reste là… Il ne veut pas jouer avec toi, tu lui fais peur… Chuuut… » Souffla doucement Yukio à son chien.

Il sursauta ensuite lorsque son voisin se leva brusquement. Il le regarda s'éloigner légèrement déçu, il n'allait pas pouvoir profiter de sa musique. Mais lorsque le jeune homme lui parla si sèchement, il resta interdit quelques secondes, pendant lesquelles Suishou en profita pour lui échapper et retourner voir son nouvel ami, avant d'éclater de rire. Un vrai fou rire qui mit un moment à se calmer et qui lui fit mal au ventre, quelques larmes lui échappa même.

« Hahaha t'es trop drôle… » Commença-t-il une fois que son rire se calma. « Ca fait longtemps que je ne vais plus en classe… Je pense que c'est plutôt toi qui devrais m'appeler « Onii-san »… Mais ça me ferait bizarre, vu que je n'ai pas de frère ni sœur. Au fait, j'ai 22 ans et toi ? Et je m'appelle Yukio. Enchanté… » Continua-t-il avec un grand sourire.

Il se leva et s'inclina un peu en se présentant, son grand sourire toujours vissé sur ses lèvres, attendant que l'autre se présente aussi. Suishou sautillait toujours autours autour des jambes de son nouvel ami en jappant joyeusement.

La dernière chose à laquelle s'attendait Kaito après les remontrances qu'il venait de faire au garçon, c'était bien que celui-ci éclate de rire et que cette hilarité dégénère même en fou rire, avec yeux qui pleurent etc. Le jeune homme pouvait même parier qu'il avait aussi mal au ventre a force. Et non seulement cette gaieté n'était pas du tout à son goût, mais en plus elle le vexait un peu car même venant d'un gamin il ne supportait pas la moquerie. En général c'était plutôt lui qui se moquait des autres alors se retrouver dans la position de l'arroseur arrosé ne lui faisait pas du tout plaisir. Pour qui se prenait ce mioche à la fin ?!
Il s'apprêtait à l'attraper par l'oreille pour lui donner une leçon, lorsque le garçon reprit la parole. Et ce qui franchit sa bouche le laissa bouche bée. Quoi ? Qu'est ce qu'il racontait ? Comment ça il n'allait plus en classe depuis longtemps ? Comment ça c'est lui qui devrait l'appeller onii-san ? COMMENT CA IL AVAIT 22 ANS ?! Ce gars à visage de collegien était plus âgé que lui de deux ans ?! Improbable ! Impossible !

- Et tu pense certainement que je vais te croire sur parole, Yukio-kun ? reprit-il sans se laisser déstabiliser. Je ne suis pas si bête. Montre-moi ta pièce d'identité.

Le garçon, qui semblait la gentillesse, l'innocence et la candeur incarnée à en juger par ses réactions, fouilla un instant dans sa poche pour en sortir un portefeuille, dont il tira ledit document, qu'il lui tendit. Kaito le prit et, stupéfait, fixa la date de naissance sans y croire. 11 novembre 1996... Et lui était né le 8 août 1998... Ce gars aux allures de collegien était bel et bien son aîné. En repensant à la façon dont il lui avait parlé plus tôt, il sentit la honte l'envahir. Lui qui n'avait jamais honte de rien. A sa grande horreur, il sentit ses joues virer au cramoisi et s'entendit balbutier :

- Je... Je suis désolé, onii-san... Je ne pensais pas que... Enfin je n'aurais jamais imaginé...

Au moins ce qu'on pouvait dire c'était que le jeune homme semblait stupéfait de ce que lui racontait Yukio. Il regardait son visage changer d'expression, vexé, incrédule, puis persuadé d'avoir débusqué un menteur… Le plus vieux s’amusait de voir l'évolution de la pensée de son interlocuteur qui se reflétait à la perfection sur son visage. Il ne le croyait pas, mais vraiment pas… Yukio-kun… Hahaha c'était mignon. Il ne le croyait tellement pas qu'il exigeait de voir sa pièce d'identité. Avec un grand sourire innocent, et quelque peu espiègle, il fouilla dans ses poches, puis dans son porte feuille pour trouver un document qui satisferait sa curiosité.

A la vue de sa date de naissance, monsieur le vexé se décomposa. Ses joues devenues rouges étaient adorables et sa façon de bafouiller l'était encore plus. Yukio le trouvait déjà beau, mais à présent il le trouvait kawaii tout plein. Même s'il semblait froid et dur avant, maintenant il avait une facette qu'il ne devait pas montrer à beaucoup de monde. Yukio en profita pour le taquiner gentiment un peu plus.

« Satisfait monsieur le petit jeune sans prénom ? C'est agréable de se faire appeler Oni-san… J'ai toujours voulu avoir un petit frère hahaha. »

Suishou attrapa le bas du pantalon du jeune homme et essaya de le tirer vers son maître. Yukio se mit à rire adorablement en voyant ça .

« On dirait que tu n'as pas d'autre choix que de revenir t'asseoir ici… Comment tu t'appelles au fait ? »

Il avait bafouillé et rougi. Devant un aîné qu'il ne connaissait que depuis quelques minutes. La honte suprême pour Kaito qui se targuait d'être viril et de ne jamais se laisser décontenancer. Là il était plus que décontenancé… il avait basculé dans la quatrième dimension. Il se sentait en colère contre lui-même de s'être laissé duper par une apparence (alors qu'on lui avait toujours dit de ne jamais s'y fier) et d'avoir donc mal parlé à un aîné, mais aussi d'avoir montré de lui un côté que seule sa famille connaissait. Il détestait montrer ses faiblesses et encore plus quand il les montrait par inadvertance à quelqu'un qu'il n'avait jamais vu avant ce jour. Sa colère envers lui-même était telle qu'il aurait volontiers envoyer bouler son interlocuteur de façon plutôt sale, surtout qu'il se fichait quand même un peu de lui, mais il ne pouvait pas. Déjà parce que c'était un aîné et qu'il avait été éduqué dans le respect de cette aînesse… mais aussi parce qu'il devait réparer son erreur d'une façon ou d'une autre afin de l'annuler en quelque sorte. Il était donc piégé.

- Je m'appelle Kaito, répondit-il du ton grognon d'un ours réveillé pendant sa sieste, en reprenant place sur le bord de la fontaine. Et il vaut mieux que tu ne m'entendes pas jouer, je ne suis… pas très bon.

Rah qu'il détestait ce genre de situation où il était en position d'infériorité psychologique ! Mais s'il pouvait s'éviter la honte supplémentaire de faire entendre son manque de talent musical à son interlocuteur, il considérerait son honneur comme à peu près sauf. En cet instant, il aurait donné n'importe quoi pour échanger sa place avec Koya comme ils le faisaient enfants quand ils avaient la même couleur de cheveux. Au moins son jumeau aurait vraiment sauvé son honneur et de façon glorieuse encore. Là… il devait se contenter de ramasser les morceaux et de les recoller grossièrement pour que ça ressemble vaguement à un honneur sauvé.

Yukio voyait bien que le jeune homme hésitait dans sa façon de réagir. Du peu qu'il avait pu en voir, il se doutait que s'être révélé ainsi, si désemparé, si mignon, devait être si inhabituel et gênant pour lui. Lui si arrogant était à présent comme un petit enfant pris en faute, tellement adorable. Et sa réponse digne d'un ours mal léché en disait long sur ses pensées. Malgré tout, il était revenu s'asseoir près de lui. Il aurait pu l'envoyer bouler, mais sa politesse l'en empêchait apparemment. Le sourire de Yukio ne le lâchait pas, ravi de cette rencontre providentielle.

« Enchanté Kaito-kun. C'est un joli prénom. Et si je veux t'entendre… » Continua Yukio d'un air décidé malgré son grand sourire.

Kaito disait qu'il n'était pas très bon mais qu’importait, il semblait vraiment vouloir jouer, alors ça ne pouvait pas être si horrible. De plus quelqu'un qui aimait tant la musique, il ne pouvait qu'être quelqu'un de bien.

« Fais moi écouter comment tu joues. Ne t'inquiète pas, je ne vais pas me moquer de toi… Ca ne peut pas être si mauvais. »

Il aurait eu la sienne de guitare, il l'aurait accompagné mais à présent il ne pouvait que l'écouter.

Il n'allait pas se moquer, il n'allait pas se moquer, c'était bien joli, mais Kaito ne se faisait aucune illusion sur son absence de talent musical : malgré sa gentillesse, son aîné ne pourrait pas faire autrement que se boucher les oreilles ou du moins grimacer en entendant les sons parfois discordants qu'il tirait du malheureux instrument qui n'avait rien demandé à personne. Mais une fois encore, il ne se voyait pas envoyer bouler son interlocuteur, il était trop poli et respectueux pour ça. Encore une chose qu'il ne partageait pas avec son jumeau : Koya, lui, aurait envoyé paitre Yukio sans le moindre état d'âme et peut-être même qu'il lui aurait fait un doigt d'honneur accompagné d'un "rompapal" ou pire d'un "vaffanculo !" bien senti (son frère disait toujours que l'avantage des insultes dans une autre langue, c'est que personne ne les comprend et des japonais qui comprennent l'italien, il ne devait pas y en avoir des centaines).

- Bon… C'est toi qui l'auras voulu, ne.

Il s'éclaircit la gorge et décida de faire une des chansons préférées de leur mère italienne : "Lasciatemi cantare" de Toto Cutugno. Il se lança donc, confiant sur sa prononciation (forcément parfaite puisqu'il était bilingue depuis l'enfance), mais ni sur sa voix ni sur l'air joué à la guitare.

- Lasciatemi cantare con la chitara in mano
Lasciatemi cantare, sono L'italiano
Buongiorno Italia gli spaghetti al dente
e un partigiano come Presidente
con l'autoradio sempre nella mano destra
un canarino sopra la finestra
Buongiorno Italia con i suoi artisti
con troppa America sui manifesti
con le canzoni, con amore
con il cuore
con più donne sempre meno suor

Boungiorno Italia
buongiorno Maria
con gli occhi pieni di malinconia
buongiorno Dio
lo sai che ci sono anch'io

Lasciatemi cantare
con la chitarra in mano
lasciatemi cantare
una canzone piano piano
Lasciatemi cantare
perché ne sono fiero
sono un italiano
un italiano vero

Le jeune homme s'interrompit à la fin du second refrain, parce que sa voix déjà pas terrible venait de dérailler dans les aigus de façon totalement immonde même à ses propres oreilles. Encore plus gêné par ça que par tout ce qui s'était produit avant et complètement oublieux de la présence du chien à seulement quelques centimètres de lui, Kaito jura à mi voix "oh cazzo sono troppo cattivo…", puis adressa à son aîné un petit sourire d'excuse.

- Désolé, c'était vraiment mauvais. Ma mère me tuerait d'avoir massacré la chanson de son chanteur préféré. Tu as le droit de te fiche de moi, je t'en voudrais pas pour le coup.

Yukio voyait bien que Kaito ne voulait pas jouer, mais sa politesse l'empêchait de lui refuser quoi que ce soit, à lui son aîné. Et le petit blond comptait bien se servir de ça. Il n'était pas du genre manipulateur, mais il trouvait Kaito gêné tellement chou qu'il voulait en profiter un peu plus. Ce n'était pas pour se moquer de lui, loin de là, il était même persuadé qu'il n'était pas si nul que ça. Ses joues rouges lui donnaient envie d'appuyer dessus,  mais c'était sans doute une mauvaise idée, il l'enverrait sans doute paitre. Alors il se contenta de tenir son chiot et de sourire en attendant que Kaito se lance.

« Voui je le veux… Allé lance toi… »

Il l'écouta alors commencer à jouer sur sa guitare. Ce n'était pas si mauvais, juste quelques couacs dus à manque de technique, il pourrait facilement progresser avec quelques cours. Par contre pour la voix… Il ne savait pas quoi en dire. A priori ce n'était pas qu'il chantait faux, mais sa voix… Yukio devait avouer qu'il n'en était pas fan… loin de là… Enfin… Il y avait aussi des fausse notes dans le chant par moment, ça grinçait un peu…

« Mais non… ce n'est pas si mauvais. C'est… de l'Italien non ? Tu parles italien ? Il me semble reconnaitre certains mots. J'avoue, ça fait bizarre ta voix… On dirait de l'enka… mais en italien… Un mélange bizarre… Pour la guitare… Avec un peu d'entrainement et quelques cours tu te débrouillerais très bien. »

S'il en voulait des cours, Yukio était près à lui en donner autant qu'il voulait. Quoi de mieux d'éveiller un jeune musicien à la beauté de la musique, si en plus ça lui permettait de revoir cet air adorable sur un si beau visage…

Pas si horrible... Yukio était juste trop gentil pour lui dire la vérité, mais Kaito savait bien que c'était affreux. Quant à sa voix, mieux vallait ne pas en parler. Les seules choses justes dans sa prestation, c'était sa diction et sa prononciation italiennes... dont il n'avait aucun mérite à tirer.

- Oui c'est bien de l'italien, confirma-t-il. Mes frères, ma sœur et moi, on est à moitié italiens par notre mère en fait. Et sinon toi tu joues d'un instrument ?

Après tout, la rencontre était complètement due au hasard mais puisque sa jolie cible avait pris la clé des champs dès qu'il avait arrêté de jouer et de chanter (probablement pour mettre ses oreilles a l'abri de la catastrophe musicale car après tout, sa voix chantée ne correspondait pas à son physique), pourquoi ne pas lier connaissance avec son aîné ? Il avait l'air plutôt sympa quoiqu'assez envahissant et Kaito était du genre sociable. Il valait mieux quand on ne passait pas deux fois la soirée et encore moins la nuit avec la même personne.
Le jeune homme haïssait la monotonie, la routine. Rien (hormis les chiens) ne l'effrayait davantage que de s'enliser dans une relation de couple. Papillonner était tellement plus excitant ! D'un soir à l'autre, il ne savait jamais qui serait sa cible et ses critères de sélection de son amant ou amante d'un soir étaient... plus que confus même à ses propres yeux. Ca pouvait parfois reposer sur presque rien : un regard, un geste, une attitude, un détail du visage... Parfois, par contre, c'était la personne entière qui lui plaisait, comme Satoshi-kun la veille. Mais contrairement à Koya qui se lassait très vite de ses jouets, lui ne jouait pas avec ses partenaires. Lorsqu'il les choisissait, il leur indiquait très clairement que c'était juste pour une nuit et qu'il n'y en aurait pas de seconde. Avec lui, chaque partie savait exactement à quoi s'attendre dès le départ. Enfin en réalité il agissait de cette façon seulement depuis sue Koya et lui avaient quitté Tokyo la flamboyante pour la paisible Kyoto et en ce qui le concernait, c'était arrivé sans raison particulière. Pour Koya par contre... Il savait parfaitement ce que son jumeau cherchait à faire et il estimait que c'était du temps perdu. Pas une fois Sora, leur aîné, n'avait cherché à les contacter depuis leur départ du domicile familial où vivait toujours Kanon et il savait par elle qu'il savait qu'ils habitaient la même ville. Pour lui, cela voulait juste dire que leur frère se moquait éperdument de ce qu'ils devenaient. Alors espérer qu'agir comme un enfoiré ferait assez de vagues pour que Sora les contacte et pire espérer à chaque amant qu'il serait son double parfait... Il savait mieux que personne à quel point son jumeau vénérait Sora et le mal affreux que cet abandon lui avait fait. Mais dès qu'il abordait le sujet, Koya se refermait comme une huître alors... il avait abandonné. Alors il espérait qu'un jour, son jumeau tomberait sur la personne qu'il lui fallait, celle qui lui donnerait envie de cesser de jouer. Ce gars aurait besoin d'être psychologiquement et émotionnellement assez fort pour encaisser un moment des "jeux" qui pouvaient facilement durer des semaines. Ou alors qu'il serait assez innocent pour ne pas se rendre compte de la cruauté de ses manœuvres ou du moins pour ne pas en être trop affecté.
Innocent... Son regard se posa de nouveau sur Yukio qui l'avait laissé à ses pensées sans l'interrompre au point qu'il en avait presque oublié sa présence pourtant toute proche. L'espace d'un instant, il envisagea de le présenter à Koya qui craquerait forcément car ses victimes étaient systématiquement des garçons frêles, faibles, adorables et trop gentils pour leur propre bien... mais il écarta immédiatement cette pensée. Oui il voulait sortir son frère de la spirale infernale dans laquelle il était enfermé, mais bien qu'il ne le connaisse que depuis quelques minutes, l'idée de livrer Yukio en pâture à la cruauté et aux appétits de Koya lui paraissait insupportable. Si sa relation amicale avec Yukio se poursuivait au delà de cette journée, son frère devrait toujours ignorer son existence. Toujours. Ou bien son nouvel ami serait souillé à jamais.

- Ah désolé pour le long silence, je pensais à des trucs, s'excusa-t-il de nouveau dans un petit sourire. On parlait de quoi déjà ?

Malgré ce que lui avait dit Yukio, Kaito ne semblait pas vouloir le croire. Pourtant c'était vrai qu'il n'était pas si mauvais que ça, enfin au moins à la guitare. Et ça il pouvait lui faire confiance, il avait une très bonne oreille musicale. Si ses parents avaient eu les moyens de lui payer des cours ou une école de musique, peut-être serait-il devenu un chanteur/musicien célèbre, ou peut-être même une idole. Mais il n'avait pas ces prétentions, il se contentait de chanter pour lui-même, de composer et d'écrire ses chansons, de transmettre ses sentiments et ses émotions par les notes, de faire vibrer son cœur au son de ses instruments et de son chant. Son univers tournait autour de la musique, on pouvait même dire que la musique était son univers. Alors malgré les accords maladroits et les quelques fausses notes de Kaito, Yukio se sentait entrer en résonance avec l'aura qu'il dégageait en jouant.

Kaito lui confirma que c'était bien en italien qu’il chantait, étant à moitié italien lui-même. Yukio était content d'avoir réussi à le reconnaître, c'était une langue qu'il aimerait bien apprendre, déjà parce qu'il aimait beaucoup un groupe italien, mais aussi parce qu'il trouvait que c'était une langue chantante et agréable à l'oreille. Peut-être que s'ils se connaissait mieux un jour, il voudrait bien lui apprendre. Il lui demanda aussi s'il jouait d'un instrument. C'était bien évident que oui, mais il ne pouvait pas le savoir lui. Yukio allait répondre lorsqu'il se rendit compte que son voisin semblait perdu dans ses pensées. Il le laissa se perdre, ne voulant pas le déranger. Il en profita également pour l'observer plus attentivement, admirant chaque détail de son visage qu'il trouvait tout de même vraiment beau. Il aurait pu le contempler encore longtemps, mais lorsqu'il se tourna de nouveau vers lui, Yukio détourna le regard et se remit à jouer avec Suishou, les joues légèrement rosées.

La voix de Kaito lui fit de nouveau tourner la tête pour le regarder. Il avait enfin retrouver le fil de ses pensées, ou presque. De nouveau il le fit rire, adorable ce Kaito.

« Ne t'inquiète pas, ce n'est pas grave haha. Tu me demandais si je jouais d'un instrument. Et oui… Je joue de la guitare et du piano essentiellement, mais d'autres aussi un peu moins bien. J'adore tout ce qui touche à la musique. » S'enthousiasma-t-il. « C'est tellement magique la musique tu ne trouves pas ? Ah si je pouvais, je passerais ma vie à chanter et à jouer de la musique. »

Drogué de la musique le lapinou ? Juste un peu. Et s'il pouvait contaminer tout le monde avec sa drogue… ce serait encore mieux.

« Tu veux que je t'apprennes ? »

Kaito avait surpris le regard de Yukio sur lui, mais sur le coup, il ne comprit pas pourquoi et mit la soudaine rougeur apparue sur les joues de son interlocuteur sur le compte de l'ennui d'avoir été surpris à le regarder. Alors il jouait de la guitare et du piano ? C'était donc un musicien lui aussi. Décidément il en était entouré et ça mettait encore plus l'accent sur sa médiocrité en la matière. Enfin c'était ce que lui pensait, mais autant Koya avait plutôt la grosse tête quand on parlait de son talent, autant Yukio paraissait humble à ce sujet. C'était un changement plutôt agréable pour Kaito.

- J'aime beaucoup la musique, mais j'y baigne par ricochets depuis l'enfance en fait, parce que mon frère joue du violon depuis qu'on a six ans. Il est très bon, tu l'as peut-être déjà entendu jouer parce qu'il fait pas mal de récitals. Il s'appelle Koya. Konami Koya. (il fit une pause, puis reprit) Du coup c'est un peu pour essayer de rivaliser avec lui que j'ai voulu apprendre la guitare tout seul. Je me sentais inférieur et j'ai horreur de ça…

Au moment où il prononçait ces mots, il se rendit compte qu'il venait d'avouer une faiblesse, de se livrer sans filtre à ce garçon qu'il connaissait à peine et ça l'agaça profondément.

- Enfin je sais pas pourquoi je te dis ça, c'est pas tes oignons après tout, ajouta-t-il durement en se levant de nouveau, un poing serré contre le tissu de son jean. Merci pour la proposition, mais je vais me démerder tout seul comme un grand, j'ai besoin de l'aide de personne. Sur ce… ciao.

Il avait conscience d'être parfaitement injuste envers son aîné qui n'avait rien fait d'autre qu'être gentil, mais Kaito était trop habitué à ne dépendre de personne, à ne se confier à personne, à ne compter que sur lui, sur ses seules facultés. Rencontrer soudain une personne prête à l'aider sans rien attendre en retour (ce qui était très manifestement le cas de Yukio) était une chose à laquelle il n'était pas habitué et devant laquelle il ne savait pas comment réagir. Et il était bien connu que la meilleure défense était parfois l'attaque. Il ne voulait pas dépendre de Yukio, même pour quelque chose d'aussi bête que son instruction musicale

Yukio avait du mal à empêcher son regard de se poser sur son voisin. Sans vraiment comprendre pourquoi, il se sentait comme aimanté par sa présence. C'était une sensation étrange qu'il ne connaissait pas mais étrangement agréable. Il espérait pouvoir parler avec lui encore longtemps. C'était vraiment bizarre, car il ne le connaissait que depuis quelques minutes, mais c'était plus fort que lui. Il lui jetait alors quelques regards discrets, ou qu'il espérait discret, tout en buvant ses  paroles. Alors comme ça, il baignait lui aussi dans la musique depuis l'enfance, même si c'était par l'intermédiaire de son frère. Koya… il lui semblait en effet déjà avoir vu ce nom sur des affiches  de récitals. Du violon moderne… C'était un instrument que Yukio aimerait pratiquer.

« Je me souviens, je l'ai déjà vu plusieurs fois je crois ton frère.  Il est doué c'est vrai. Et tu sais, tu n'as pas à te sentir inférieur… Pour avoir appris seul, tu te débrouilles déjà très bien. Je doute que ton frère soit arrivé à ce niveau sans aide ni sans avoir pris de cours… Et… Hey ? »

L'attitude de Kaito changea de nouveau, reprenant son ton d'ours mal léché, semblant décidé à partir. Hein ? Non mais non ne pars pas !! Yukio voulait qu'il reste encore, parler encore avec lui… Pourquoi partait-il ? Ce n'était pas juste. Avant même  de comprendre ce qu’il faisait, le jeune blond s'était relevé et avait rattrapé le fuyard, posant ses lèvres sur les siennes, les bras passés autours de son cou.

Prenant soudain conscience de ce qu'il faisait, Yukio  se recula brusquement, les mains posées sur les lèvres, les joues écarlates. Pourquoi l'avait-il em… embrassé ? Comment ? En plus c'était son premier baiser… Alors pourquoi avec lui ? Qu'est-ce qui lui avait pris ?

« Je… je… je suis… Gomen… Tu… Je suis désolé… Ohlalaaaaa… Gomen… » Bafouilla-t-il très mal à l'aise…

Il l'entendit vaguement parler de Koya qu'effectivement il connaissait un peu et tenter de le rassurer sur ses facultés musicales, pourtant Kaito n'y fit pas vraiment attention, il voulait mettre le plus de distance possible entre eux. D'ailleurs, normalement, son ton aurait suffit à congeler un ours polaire ou du moins à franchement servir de repoussoir à n'importe qui. Seulement voilà, Yukio ne semblait pas être n'importe qui et sa soudaine fuite ne semblait pas vraiment être de son goût car il lui emboita le pas et le dépassa manifestement pour tenter de l'arrêter (le jeune homme se demanda d'ailleurs bien pourquoi car ils se connaissaient à peine). Il s'apprêtait à lui dire qu'il perdait son temps et qu'il ne changerait pas d'avis, mais les mots moururent dans sa bouche avant même d'avoir pu les formuler car, sans que rien ne le laisse présager, son aîné posa ses lèvres sur les siennes, les bras passés autour de son cou. Pris par surprise, Kaito fut incapable de réagir et resta juste bouche close, yeux écarquillés et bras ballants, avant de se ressaisir au moment où Yukio lui-même semblait prendre conscience de ce qu'il venait de faire et se reculait en s'excusant et en bafouillant, les joues rouges de confusion.

- C'est... Je... Tu... commença-t-il lui-même guère plus clairement à cause de l'étonnement, avant de se reprendre et qu'un sourire en coin malicieux étire ses lèvres qu'il effleura de la main. Et bah... au moins t'y vas pas par quatre chemins. C'est surprenant, je te pensais pas comme ça. Si j'avais su que t'avais la dalle autant que Koya à ce niveau...

Il n'acheva pas sa phrase, fit un pas vers son aîné, l'attrapa par le col sans lui faire mal et l'embrassa à son tour. Mais comme il n'était pas un collégien, lui ne se contentait jamais d'un simple contact. Du bout de la langue, il parcourut les lèvres pleines de son vis à vis, puis la glissa entre elles pour l'envoyer à la rencontre de son homologue qu'il entreprit d'entourer, cajoler, caresser longuement, la quittant un instant pour la retrouver l'instant d'après. Il était depuis longtemps passé maître en matière de baisers. Et de baiser aussi mais ils n'en étaient pas encore là. Pas tout à fait. En réalité, avant le contact voulu par Yukio, il n'avait même pas envisagé l'idée de le voir comme autre chose que comme un ami. En ça aussi il différait de son jumeau. Mais l'aîné en avait décidé autrement apparemment et lui n'était pas contre. Il suffisait qu'il lui expose la situation.
Relâchant son partenaire, il reprit fermement bien que moins froidement :

- Ecoute Yukio, si t'as envie ça me dérange pas, mais ça sera que pour une nuit par contre. Je suis pas le genre à m'attacher. Mais je te promets de bien m'occuper de toi pendant cette nuit. Mais un conseil, si t'as la dalle à ce point, ça sert à rien de tourner trois ans autour du pot comme t'as fais aujourd'hui ni de jouer les effarouchés pour mettre le grappin sur un mec, vas-y cash. On est pas des nanas, les mecs aiment les trucs bien nets tu vois. Et autre chose aussi, les rives du lac sont pas l'endroit idéal pour alpaguer un mec, choisis mieux le lieu où tu drague. Conseils de pro, fais-en ce que tu veux.

Sur ces mots, il lui dédia le sourire enchanteur qu'il réservait toujours à ses futurs amants ou amantes et lui tendit la main. Il avait dit qu'il s'occuperait bien de lui et il le ferait. Même si ça signifiait qu'il ne le reverrait plus jamais ensuite. Ce qui résolvait son problème vis à vis de Koya.

Complètement confus par son geste qu'il n'aurait jamais osé en temps normal, Yukio sentait soudain l'envie que la terre s'ouvre sous ses pieds afin qu'il puisse s'y cacher. Pour quoi ou pour qui allait le prendre Kaito maintenant ? Ce qu'il voulait, c'était juste passer un peu plus de temps avec lui, pour discuter, parler musique, lui apprendre à jouer de la guitare. Alors pourquoi ? Il allait le prendre pour ce qu'il n'était pas, lui le total inexpérimenté en la matière. La phrase que Kaito lui assenna confirma ses craintes, son geste le faisait passer pour ce qu'il n'était pas, il avait selon lui « la dalle » comme son frère. Que voulait-il dire par « la dalle » ?

Il n’avait pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu’il se retrouva une nouvelle fois avec les lèvres de Kaito sur les siennes. Figé par la surprise, il ne réagit pas tout de suite, puis sursauta en sentant sa langue caresser ses lèvres. Il crut sentir son coeur d’arrêter en sentant alors la langue de Kaito jouer avec la sienne. Oualalah il faisait quoi là ? Après s’être arrêté, Yukio sentait à présent son coeur s’emballer et ses jambes se liquéfier. Il s’accrocha aux bras de Kaito pour ne pas défaillir. Son premier vrai baiser… Et quel baiser… Ouah… Il avait l’impression d’avoir été propulsé dans une autre dimension.

Les paroles de Kaito suivant son baiser le firent retomber brusquement sur terre. Sa voix et ses paroles lui comprimèrent le coeur. Ainsi il croyait qu’il voulait juste s’amuser au lit avec lui, mais c’était une idée ui ne lui avait même pas traversé l’esprit. Le sourire que Kaito lui décocha alors lui fit encore rater un battement de coeur, ou deux. L’ascenseur émotionnel fut tel que ses jambes se dérobèrent et qu’il se retrouva les fesse sur le sol, essayant de retrouver ses esprits.

« Je… non… Ce n’est pas ça… Je ne veux pas… Enfin… Désolé… Ce n’était pas pour ça… Je voulais juste… Que tu restes encore un peu… Pour discuter… Pour jouer de la musique… Pour te connaître un peu plus… Etre amis… Je ne sais pas pourquoi j’ai fais ça… Désolé... » Bafouilla le blondinet rouge de honte, choqué, en cherchant ses mots, avant de cacher son visage dans ses mains.

Il n’osait plus regarder Kaito, ni même montrer son visage. Il s’en voulait de ne pas avoir réussi à contenir cette soudaine pulsion incompréhensible pour lui. Bien sûr il le trouvait beau, très beau même, et il ressentait des choses inédites auprès de lui. Etait-ce pour ça ? Il redoutait à présent la réaction de Kaito.

A la grande surprise de Kaito, son aîné s'effondra au sol dès qu'il le lâcha et il le vit même cacher prestement son visage dans ses mains, mais il il eut le temps de le voir virer au cramoisi. Ooooook... C'était quoi cette réaction extrême ? Il savait qu'il embrassait bien mais de là à provoquer cet effet... C'était bien la première fois qu'un de ses baisers coupait les jambes de son partenaire. Un peu inquiet, il s'accroupit devant lui et, de ses deux mains, écarta celles de Yukio, placant ainsi son visage a quelques centimètres du sien et ses yeux biek en face des siens.

- Hé nii-san tout va bien ? J'embrasse si bien que ça ? demanda-t-il en riant pour essayer de dédramatiser la situation, avant d'ajouter en réponse à ses balbutiements : Ecoute c'est rien ne. J'ai mal compris tes intentions c'est tout, pas de quoi en faire un drame. Par contre évite juste de sauter sur les mecs avec qui tu veux juste être ami, ça prête franchement à confusion quand même. Mais y'a pas mort d'homme d'accord ? Pas besoin de t'en vouloir ou je sais pas quoi. Allez relève-toi, tu vas choper la crève par terre, conclut-il en l'aidant à se lever pour retourner s'asseoir sur le bord de la fontaine. Reste-là, je vais te chercher un truc sucré à boire, t'as l'air d'en avoir besoin.

Il s'éloigna sans attendre de réponse vers un distributeur qu'il avait repéré plus loin, paya une canette de jus de pêche et revint en la lui tendant.

- Franchement vu ta réaction on pourrait croire que c'était ton premier baiser, t'abuse un peu. Je vais finir par me sentir coupable de t'avoir embrassé si ça continue. Tu...

Mais il ne put poursuivre sa phrase car une voix familière venait de l'interpeller.

- Ah Kai tu es là. J'ai oublié mon portable donc je venais te prévenir que... commença Koya en rejoignant son jumeau, avant de s'interrompre en apercevant Yukio. Héééééé saluuuuuut... ajouta-t-il de son ton le plus charmeur. Mais dis donc frangin tu me cache des merveilles, c'est pas sympa ça.
- Ko non, répondit fermement Kaito en se plaçant devant leur aîné à la façon d'un bouclier. T'as qu'à claquer des doigts pour avoir n'importe quel mec de Kyoto alors lui, tu lui fous la paix, ok ?
- Depuis quand tu partage plus tes jouets avec moi ?
- Ko, stop. Va draguer ailleurs et t'occupe plus de Yukio.
- Hum alors cette petite friandise s'appelle Yukio... fit le second des jumeaux en fixant ledit Yukio d'un air de prédateur.
- Merde il entend plus rien... YUKIO SAUVE-TOI ! COURS ! JE VAIS LE RETENIR ! TU ME RETROUVERAS ICI ! lui ordonna-t-il en ceinturant son frère qui se léchait déjà les lèvres en imaginant ce qu'il pourrait faire avec ce jouet inattendu.

Ce que Yukio espérait, c'était de ne se taper encore plus la honte qu'il ne l'avait déjà, et surtout que Kaito ne se moque pas trop de lui. Un mec de vingt-deux qui réagit comme une vierge effarouchée pour un baiser et quelques propos osés… Ca pouvait être risible non ? Mais si voisin pouvait l'oublier juste pour quelques minutes, juste le temps de retrouver un minimum de contenance… Mais lorsqu'il écarta ses mains, voir son visage si proche lui fit une nouvelle fois rater un battement de cœur. Ouah c'était mauvais pour lui de rester près de lui, il allait faire une crise cardiaque avant l'heure.

Est-ce qu'il allait bien ? Il n'en était pas trop sûr. Est-ce que Kaito embrassait bien ? Si tous les baisers faisaient cet effet là… Yukio comprenait à présent pourquoi les amoureux passaient leur temps à s'embrasser. Pour répondre aux questions, le blondinet balbutiait quelques mots, ne sachant pas si l'autre les entendait ou les comprenait. « Ca va… Oui… Désolé… Je… Gomen… ».

Kaito l'aida à se relever et à s'asseoir sur la fontaine avant de s'éloigner. Yukio le regarda partir en direction du distributeur, son regard ne se détourna que lorsqu'il disparut derrière un arbre. Alors seulement il parvint à prendre une grande respiration et à se calmer peu à peu. Mon dieu, que lui avait-il pris de lui sauter dessus ainsi ? Même en y réfléchissant, sans avoir l'objet de son trouble sous les yeux, il ne trouvait pas de raison satisfaisante.

Un jus de pêche apparut sous ses yeux. En remontant en suivant le bras qui le tenait, il tomba sur le visage de Kaito. Il était allé lui chercher un jus, c'était trop adorable. Il le remercia d'un beau sourire, heureusement qu'il avait réussira se calmer. Mais lorsqu'il lui parla de « premier baiser », les joues du plus vieux virèrent au cramoisi en moins de deux secondes. Oups, c'était si facile que ça de deviner ? Il allait essayer de répondre quand une autre voix retentit près  d'eux.

C'était troublant de voir à quel point le nouveau venu ressemblait à Kaito, son jumeau sans aucun doute, mais quelque chose dans sa voix et son regard dérangeait Yukio, lui faisait peur même. Dans les yeux du nouvel arrivant, il avait l'impression d'être un plat délicieux devant un morphale affamé. Même si Kaito l'avait dragué un peu lourdement, si on pouvait dire, ce n'était rien comparé à son frère . Le blondinet n'osait plus bouger, de peur que l'autre en profite pour venir le bouffer. La voix de Kaito le fit sursauter, il lui disait de s'enfuir, de courir pour sauver sa peau. Sans demander son reste, il l’écouta, ramassant ses affaires et son chien, il s'enfuit en courant, regrettant déjà amèrement de devoir quitter son nouvel ami.

A travers la porte fermée de l'appartement, des éclats de voix se faisaient entendre. Fou de rage comme il l'avait rarement été envers son frère, Kaito faisait les cent pas dans le salon, devant un Koya totalement blasé. Il lui disait ses quatre vérités depuis un bon quart d'heure et le flot de paroles n'avait pas l'air prêt à se tarir.

- … Mais bon sang Ko, c'est quand même dingue que tu pige pas un truc aussi simple ! Les mecs sont pas de la bouffe, faut que t'arrête, tu deviens flippant à la fin ! Tu te rends compte que tu lui as foutu la trouille ?! T'as fait flipper un mec, merde ! Je te jure que s'il revient jamais je te le pardonnerais pas !

Il y eut un blanc, puis la voix de Koya se fit entendre :

- Ca y est t'as fini ? J'ai pigé, t'en fais pas, ce mec c'est propriété privée, donc j'y toucherais pas.
- He ? Comment ça "propriété privée" ?
- Ah tu t'en es même pas rendu compte en plus ? (il rit et se pencha pour appuyer ses coudes sur ses genoux) Kai, t'as jamais défendu personne comme ça, tu t'en tape d'habitude. Ce mec… il est différent pour toi-même si je pige pas trop pourquoi parce que les gars dans son genre, c'est clairement plus mon style que le tien. J'irais pas jusqu'à dire que t'es amoureux, parce que bah… j'en sais foutre rien et au pire je m'en fous un peu, mais pour moi y'a clairement un truc.

Kai haussa les épaules.

- N'importe quoi…
- Fais l'autruche autant que tu veux si ça t'amuse, mais Kai… tu lui as dis qu'il pourrait te retrouver. Toi qui revois jamais personne.
- Ca a rien à voir, mélange pas tout. Je revois jamais mes amants, c'est tout. Yukio est pas mon amant que je sache.
- Pas encore du moins.
- Non y'a pas de "pas encore". Il le sera pas, point.
- On verra.

Kaito avait de nouveau haussé les épaules et était allé s'enfermer dans sa chambre, dont il n'était même pas sorti pour le dîner, mais les paroles de Koya tournaient en boucle dans sa tête.
Le lendemain, de bonne heure et presque malgré lui, Kaito qui n'avait pas fermé l'œil de la nuit, sortit avec sa guitare et se rendit de nouveau au lac. Il n'espérait même pas voir arriver Yukio, il voulait juste se retrouver seul pour réfléchir à toute l'histoire. Prenant place sur le bord de la fontaine, il plaça sa guitare et gratta vaguement les cordes, plongé dans ses pensées.

Après être parti du lac, Yukio était vite rentré chez lui, encore perturbé par ce qui lui était arrivé. Un prénom résonnait dans sa tête, l'image d'un sourire, d'un visage aux joues parfois rouges. Pourquoi n'arrivait-il pas à penser à autre chose ? Probablement qu'il ne le reverrait jamais en plus, alors il ferait mieux de ne plus penser à lui. Le reste de la journée, il la passa à tourner en rond chez lui, incapable de rester calme, ce qui était une première pour lui. D'habitude, il chantait ou composait, se perdait dans le monde merveilleux de la musique. Mais là, rien n'arrivait à le distraire.

La journée était vite passée et quand l'heure d'aller travailler arriva, Yukio en fut surpris. Cette journée qui lui avait pourtant semblée interminable au début, s'était évaporée ensuite. Il avait hésité à se faire porter pâle au boulot, ne se sentant pas d'aller faire le beau auprès de clients. Mais finalement, ce serait un moyen de se changer les idées. Il avait eu raison, le temps de son travail, lui avait fait oublier pour un temps ce qu'il s'était passé avant. Mais une fois rentré chez lui dans la nuit, l'image du sourire de Kaito lui revint en tête.

Malgré la fatigue, Yukio fut incapable de dormir pendant le reste de la nuit, après son travail au club. Dès qu'il fermait les yeux, il revivait cette rencontre au lac qui l'avait tant troublé. Allait-il pouvoir le revoir un jour comme il le lui avait dit ? Vu comment le blondinet avait réagi, ce ne serait pas étonnant que Kaito le trouve louche, bizarre ou trop immature. Mais il espérait pourtant le revoir, passer du temps avec lui, lui parler. Ouais bon ok, il était complètement atteint… Mais pas sa faute.

Sans avoir pu dormir de la nuit, il était dehors de bonne heure, ne supportant plus de tourner dans son lit. Ses pas le portèrent vers cette même fontaine que la veille au lac, sans même qu'il y fasse vraiment attention. En reconnaissant l'endroit, il ralentit son allure alors que son cœur de serrait d'appréhension. Allait-il être là ? Non forcément, pourquoi serait-il ici si tôt ? Lorsqu'il le vit, assis sur le rebord de la fontaine, son cœur s'accéléra de nouveau alors qu'il s'approchait de lui doucement, tout gêné…

« Anooo… Ohayo Kaito-kun… »

Toujours plongé dans ses pensées, Kaito ne vit ni n'entendit arriver Yukio avabt que sa voix ne se fasse entendre dans le silence ambiant. Stupéfait à la fois de le trouver là a cette heure très matinale et de le trouver là tout court malgré sa dernière phrase de la veille, le jeune homme se leva d'un bond, faisant presque tomber sa guitare dans la précipitation. Ne prenant que le temps de la poser sur le rebord de la fontaine, il se précipita vers lui sans le réaliser vraiment.

- Yukio, tu... vas bien. Tant mieux, je suis content.

Il resta quelques secondes à distance de lui puis, après avoir regardé de tous les côtés comme pour vérifier que personne ne pourrait le surprendre, franchit la courte distance qui les séparait encore et le prit dans ses bras pour l'étreindre avec soulagement. Il avait craint il ne savait même pas exactement quoi lui-même. Rassuré, il le lâcha et s'écarta, un peu gêné.

- Heu, désolé pour ça... dit-il en se frottant le crâne, le regard fuyant. Et aussi... désolé pour la scène d'hier avec mon frère. Il est pas méchant mais il est un peu... obsédé en fait...

Ne sachant pas quoi ajouter et toujours embarrassé de l'avoir enlacé, le plus jeune des deux garçons se détourna pour retourner vers la fontaine, sans comprendre pourquoi son cœur s'était emballé quand il l'avait serré contre lui. Ignorant en matière de sentiments, il mit ça sur le compte des quelques mètres qu'il avait fait en courant.

Les quelques secondes avant que Kaito ne relève la tête vers lui avaient paru durer une éternité pour Yukio. Une telle appréhension le submergeait qu'il avait l'impression de ne plus savoir respirer. Lorsqu'il le vit se lever d'un bon, il sursauta en craignant qu'il ne s'enfuisse en courant. Mais à la place, il se précipita vers lui, à son grand soulagement. Kaito semblait heureux de le voir et soulagé lui aussi, et cette pensée fit tellement chaud au cœur du plus vieux qu'un magnifique sourire prit place sur ses lèvres.

« Je vais bien, merci Kaito… Toi aussi tu as l'air d'aller bien, j'en suis heureux, quoiqu'un peu fatigué non ? »

Kaito semblait en effet fatigué, c'était tout du moins l'impression que Yukio avait, et il s'en inquiéta. Pourquoi n'avait-il pas bien dormi ? Etait-il malade ? Avait-il des soucis ? Ses réflexions s'envolèrent et le temps se figea lorsqu'il sentit des bras l'entourer. Cette étreinte lui semblait si chaleureuse, il se sentait si bien sur le moment qu’il oublia même de réagir pour l'enlacer lui aussi. Lorsqu'il s'éloigna, le froid que ressentit Yukio le fit frissonner. Pourquoi avait-il arrêté ?

« C'est rien… »

Yukio le regarda s'éloigner en ressentant un tel vide en lui qu'il ne put s'empêcher de le rejoindre rapidement pour le serrer lui aussi dans ses bras, son cœur menaçant de sortir de sa poitrine tant il battait fort.

Le jeune homme avait à peine fait quelques pas en direction de la fontaine, qu'il ressentit un choc dans son dos et vit deux bras se glisser autour de sa taille : sans que rien ne le laisse présager et sans dire un mot, Yukio l'avait enlacé par derrière et se serrait à présent contre lui aussi fort que s'il souhaitait que leurs corps fusionnent, comme s'il craignait plus que tout qu'il s'eloigne. Le geste emballa le cœur du plus jeune des deux sans qu'une fois de plus il en comprenne la raison. Sans le savoir, l'aîné venait de faire un geste décisif car Kaito aimait vraiment ce genre de geste d'ordinaire plutôt féminin. Sans jamais le montrer, il trouvait ça adorable et ça se vérifiait une fois de plus mais en amplifié par rapport à ce dont il avait l'habitude. Instinctivement, il posa les mains sur les siennes croisées sur son ventre, puis après une infinité de secondes, se retourna entre ses bras et le fixa avec intensité, avant de poser les mains sur ses joues.

- Yukio... murmura-t-il simplement, ne sachant pas quoi dire de plus.

Des pouces, il caressa longuement ses pommettes sans cesser de le regarder dans les yeux, puis se pencha légèrement et effleura ses lèvres des siennes, avant de les pincer doucement entre les siennes, de les relâcher pour les reprendre la seconde d'après sans rien faire d'autre pendant un long moment. Puis il appuya franchement le contact, les lécha doucement et glissa sa langue à la rencontre de son homologue pour intensifier le baiser. Après quelques instants, sentant que le contrôle de la situation risquait de lui échapper et ne le voulant à aucun prix, il cessa tout contact buccal et, défaisant l'étreinte de son aîné, s'écarta de ce dernier en s'efforçant de ne surtout plus le regarder car il ne se doutait que trop bien de l'expression de Yukio à cet instant. Il n'avait pas oublié celle qu'il avait affichée la veille : un air d'extase pure, comme s'il venait de lui faire l'amour avec un simple baiser. Et Kaito doutait d'être assez maître de lui pour résister à une telle expression. Avec son air innocent et sa candeur naturelle dont lui-même était complètement dépourvu, le plus âgé était plus dangereux qu'il ne le supposait et probablement plus que Yukio lui-même ne le pensait.

- Tu proposais de m'apprendre à jouer ? dit-il soudain pour tenter de désamorcer une situation à laquelle il ne comprenait rien car c'était le bordel le plus complet en lui. J'espère que t'as des réserves de courage parce que ça va pas être de la tarte, ajouta-il en riant d'une façon légèrement forcée.