An-chan à la rescousse !

Yuya ne semblait pas vouloir lâcher l’autre jeune homme, il était accroché à lui comme un koala à sa branche. S'écarter de lui lui faisait peur, il n'avait pas les idées assez claires pour réfléchir plus loin que la nécessité de ne pas être seul. Mais il devait aller se doucher, à contre cœur Yuya se détacha de lui et le regarda s'installer sur son fauteuil avec difficulté avant de quitter la pièce. Pendant quelques minutes, son regard perdu resta posé sur la porte par laquelle le jeune homme, dont il ne connaissait pas le nom, ou peut-être le lui avait-il dit mais son cerveau n'avait pas imprimé l'information, était parti. Sentant l'angoisse monter peu à peu en lui, son regard observa tout ce qui se trouvait autours de lui, se demandant ce qu'il devait faire.

Yuya finit par sortir du lit. Il frissonna en posant ses pieds nus sur le sol froid. Il hésita sur ce qu'il devait faire, dans cet environnement qui lui était inconnu, mais finalement se dirigea vers la cuisine. Le jeune homme lui avait dit de se servir dans le frigo pour manger, il alla l'ouvrir, mais rien de ce qu'il y avait dedans ne lui faisait envie, il n'avait vraiment pas envie de manger. Il s'installa sur une chaise près de la table, un genou remonté contre son torse, les bras l'entourant. Le silence de cet appartement n'était troublé que par le bruit de l'eau dans la salle de bain, Yuya se laissa glisser dans ses souvenirs. Il revoyait des images de son enfance, lorsqu'il jouait avec Shu dans les rues, à fomenter des plans impossibles en se cachant des adultes, ou lorsqu'il devait veiller sur son frère jumeau, le petit ange doux et fragile qu'il était, les moments passés en famille, même si leurs parents n'étaient pas forcément doués, des petites frappe de quartier. Il commença ensuite à revoir d'autres images bien moins agréables, se laissant engloutir dans ses souvenirs. Il sursauta comme un beau diable lorsqu'il entendit lune voix près de lui. Le regard perdu, il revint à la réalité en essayant de se rappeler où il se trouvait.

« Euh… Mangé ? » De quoi parlait-il ? Son regard se promena autours de lui et il réalisa qu'il était dans la cuisine et qu'il était sensé manger. « Euh… Pas faim… » Comme pour le contredire, son estomac se mit à grogner, mais il n'avait pas envie de manger.

Un soupir manqua échapper à Seishiro lorsqu'il se rendit compte que son jeune invité ne l'avait absolument pas écouté et qu'il n'avait donc pas avalé la moindre miette de quoi que ce soit. Mais il était venu à bout de Shinobu et ses lubies gastronomiques, de Shin et son absence d'appétit du matin et même de Satomi et Sae avec leurs ridicules régimes, alors ce n'était pas un Yu-kun qui allait le faire fléchir.
Se propulsant vers le frigo, il l'ouvrit et en sortit la boite hermétique qui contenait les restes de son petit déjeuner de la veille. Il le fit chauffer quelques instants au micro-ondes, puis la posa sur ses genoux sur un plateau qu'il fixa au cadre de son fauteuil et s'approcha de son jeune ami.

- Je te l'ai dis, Yu-kun, il faut que tu mange. Que tu aie faim ou pas, lui dit-il gentiment mais d'un ton qui n'admettait pas de réplique. Et tu vas manger même si pour ça je dois te donner la becquée comme à un oisillon.

Sur ces mots, il prit dans la boite du riz et des morceaux de poisson grillé avec des légumes et approcha les baguettes de la bouche de son cadet. Il ne s'estima satisfait que lorsque le récipient fut totalement vide et qu'il put le mettre dans le lave-vaisselle. Il retira ensuite le plateau amovible et se tourna de nouveau vers lui.

- Maintenant on y va, avant que je sois vraiment en retard, ajouta-t-il en se dirigeant vers la porte. On a dix minutes pour attraper le bus.

L'estomac de Yuya grognait de faim, mais il l'ignorait, n'étant visiblement pas assez en phase avec la réalité pour s'en préoccuper. Pendant que son hôte préparait de quoi se sustenter, lui avait laissé son esprit repartir dans ses souvenirs, ayant par moment du mal à distinguer les vrais souvenirs de ce qu'il lui arrivait d'imaginer. Il n’avait pas l'habitude de revoir ces souvenirs, ce qu'il voyait avant, c'était la vie de Yukio, pas son ancienne vie, lorsqu'il existait encore. Les revoir à présent le troublait, c'était une nouvelle preuve de l'absence de son autre lui.

Une nouvelle fois il sursauta en entendant la voix de l'autre homme. Il lui disait encore de manger, mais ça ne lui faisait vraiment pas envie. A priori il n'allait pas avoir le choix, l'autre n'allait pas le laisser partir sans rien manger. Lorsqu'il approcha les baguettes de sa bouche, Yuya commença par détourner la tête, il ne voulait vraiment pas manger, mais il finit par capituler et ouvrit la bouche pour prendre la nourriture. Ils recommencèrent encore jusqu'à ce que le plus vieux semble satisfait. L'estomac de Yuya semblait satisfait, mais lui-même se sentait lourd à présent. C'était habituellement Yukio qui mangeait pour eux, pas lui, et ça lui faisait vraiment bizarre en fait.

Alors que l'autre homme finissait de ranger les restes du petit déjeuner, Yuya se dépêcha d'aller dans la salle de bain pour se laver et se sécher, de nouveau une première pour lui, comme les repas, c'était Yukio qui faisait ça habituellement. Il lui avait dit qu'il ne devait pas être en retard et Yuya s'en voudrait de mettre à mal cet homme qui l'avait tant aidé en si peu de temps. Il s'habilla rapidement, avec se vêtements de la veille, puis rejoignit son hôte, espérant ne pas avoir mis trop de temps. Il s'avança vers lui, hésitant, le regard baissé, ayant peur de sortir.

- Tu as été rapide, c'est très bien, le félicita Seishiro en voyant revenir son invité. Tu vas pouvoir pousser mon fauteuil jusqu'à l'arrêt de bus ? Par chance il est juste en bas de la maison.

Pour être honnête, même en se dépêchant, il serait tout de même en retard de quelques minutes, mais il ne jugea pas utile d'en aviser son interlocuteur, qui somme toute réagissait plutôt bien à tous les nouveaux éléments qu'il lui fournissait depuis son entrée dans l'appartement. C'était très positif.
Lorsqu'ils furent tous deux dans le bus, le jeune professeur se dit qu'il était temps de se présenter une nouvelle fois car il était presque certain que son compagnon du moment n'avait pas retenu son identité.

- Je m'appelle Aizawa Seishiro, dit-il en souriant. J'ai presque 28 ans et je suis professeur de littérature à l'université où nous nous rendons. Je me suis dis qu'il fallait que je te le dise avant qu'on arrive, au cas où. Quand nous serons arrivé à l'amphithéâtre où je donne mon cours, il faudra que tu t'asseye au plus près de moi, pour que tu sois rassuré en permanence. Je ne pourrais pas regarder que toi, mais sache que je suis là, d'accord ?

Yuya se sentait toujours aussi hésitant, mal à l’aise, et il était sûr d’avoir mis bien trop de temps et que son hôte allait être en retard, mais il le félicita pour sa rapidité… Bizarre… Il se demandait encore s’il devait vraiment aller avec lui, mais rester ici, seul, il en était hors de question. Il accepta alors lorsqu’il lui demanda de pousser son fauteuil et posa ses mains sur les poignées et suivit ses instructions pour sortir de l’appartement et rejoindre l’arrêt de bus.

Dans le bus, le plus jeune se demanda où il devait se mettre et resta d’abord debout, près du plus vieux. Il remarqua rapidement les regards que les autres passagers lançaient à son compagnon de route et se demandait comment il pouvait passer outre. Un siège se libéra près du fauteuil à roulette, Yuya s’y installa et écouta l’autre jeune homme qui se présenta à lui. Ainsi il s’appelait Seishiro et était professeur à l’université. C’était donc là qu’ils se rendaient, dans une université… Yuya n’y était jamais allé, Yukio non plus d’ailleurs, il avait commencé une école de musique, mais c’était différent d’une université. De ce fait, il appréhendait vraiment de se retrouver dans ce lieu inconnu et espérait que la présence de Seishiro l’aiderait à le surmonter.

« Je… Je m’appelle Yuya… » Il lui devait bien de se présenter, comme il s’occupait de lui. Et il devait se faire une raison, il était Yuya à présent. Que pouvait-il dire d’autre sur lui ? « J’ai 22 ans. » Même si techniquement, Yuya n’avait que 12 ans réellement. « Et je… Je… En fait je ne sais pas ce que je dois faire… ou ce que je vais faire… Ce n’était pas ma vie avant, alors je ne sais pas ce que je vais devenir… »

- Yuya hein... Hum je pense que je vais continuer à t'appeler Yu-kun  si ça ne t'ennuie pas. Je trouve que ça te correspond mieux, sourit Seishiro, avant de s'arracher aux mains du plus jeune pour faire pivoter son fauteuil et lui faire face. Ecoute Yu-kun, je ne suis toujours pas certains d'avoir bien compris ton histoire et je pense que tu n'as pour le moment pas tellement envie d'en parler plus. Mais sache que tu peux rester chez moi aussi longtemps que tu voudras. Quant à ce que tu vas devenir, on pourra y réfléchir ensemble quand ton état émotionnel sera plus stable. Pour le moment, n'y pense pas, d'accord ?

Il lui dédia son sourire le plus rassurant, puis appuya sur le bouton d'arrêt du bus et fit signe à Yuya de le pousser à l'extérieur du véhicule dès que celui-ci se fut arrêté.

- Le campus de l'université est plutôt grand, reprit le jeune professeur, heureusement j'enseigne dans le bâtiment le plus proche de l'entrée donc tu n'auras pas à me pousser très longtemps. Si on te pose des questions sur ton identité et sur le fait que tu sois proche de moi, tu diras que tu es mon cousin et que tu viens d'arriver de la campagne. Ca évitera des questions supplémentaires.

Après quelques minutes de marche, l'étonnant duo passa la porte du bâtiment de la fac de lettres et, selon les instructions de Seishiro, se dirigea vers la salle des professeurs. Ils étaient à peine arrivés au milieu du couloir, qu'une petite dizaine de filles se précipita vers eux en piaillant.

- Professeur Aizawa, dit l'une d'elles, est ce que vous pourriez signer mon magazine s'il vous plait ? Vous êtes trop beau sur la couverture !
- Le mien aussi, le mien aussi ! s'exclamèrent les autres à l'unisson.

Le jeune homme leur sourit alors d'un air contrit et répondit gentiment :

- Je suis désolé mesdemoiselles, mais je ne signe rien, c'est un principe. Je ne suis pas une célébrité, alors je n'ai pas à signer d'autographe.
- Mais...
- Allez et ne soyez pas en retard en cours, reprit-t-il d'un ton plus ferme. Votre exposé de groupe sur Molière est pour aujourd'hui, alors je vous conseille plutôt de vous concentrer au lieu de penser à ces bêtises.

Très visiblement déçues, les étudiantes se dispersèrent et Seishiro se tourna comme il put vers Yuya :

- Désolé pour ça. Quand je m'ennuie, je fais un peu de mannequinat pour arrondir les fins de mois et à chaque magazine qui sort je suis obligé de répéter ça en boucle à mes étudiantes. Des fois je me demande si elles se sont inscrites en littérature pour le cours ou pour mon visage. Bon, je vais entrer dans la salle des professeurs pour récupérer mes affaires. Tu ne peux pas entrer mais ça sera l'affaire de quelques minutes seulement alors ne t'éloigne pas d'accord ?

Sur ces mots, l'aîné ouvrit la porte et propulsa son fauteuil à l'intérieur, accueillit par des "bonjour professeur Aizawa", puis la porte se referma.

« Je… Yu-kun ça me va… » Comme ça, ça convenait autant à Yuya qu’à Yukio. « C’est surtout que c’est… Compliqué… Même moi, je ne sais pas trop ce qu’il se passe… C’est étrange.. Et quand j’ai essayé d’expliquer ce que j’en comprenais à K…, au copain de Yu… ou le mien… Il m’a abandonné… parce que je n’étais plus lui… » Yuya baissa les yeux à l’évocation de Kaito, le cœur douloureux, mais les releva lorsqu’il lui proposa de vivre chez lui, avec lui, tant qu’il le voudrait. Il lui en était reconnaissant, retourner vivre chez Yukio seul, sans son autre lui, était trop dur pour lui encore. « Merci. » Mais en pensant à cet appartement, il pensa soudain à… « Suishou… Il va falloir que je retourne chez Yu… Chez moi… C’est son… mon chiot, il est tout seul à l’appartement… Qu’est-ce que je vais faire de lui maintenant ? » C’était le chien de Yukio, est-ce qu’il allait l’accepter comme maître ?

Lorsque le bus s’arrêta, Yuya se leva et posa ses mains sur les poignées du fauteuil pour pousser le professeur sur le trottoir. Il écouta attentivement ce que Sei lui racontait, essayant de tout retenir. Son cousin ? Il avait sans doute raison, ce serait plus simple. Pendant qu’il le poussait en suivant ses instructions, Yuya observait les environs. C’était tellement grand, et il y avait tellement de monde, qu’il ne se sentait pas à l’aise. Et lorsqu’ils arrivèrent dans un couloir, ils furent assaillis par une horde de filles piaillantes. Yuya prit peur et s’accrocha encore plus fort au fauteuil, hésitant à aller se cacher. Ces filles demandèrent au prof de signer leurs magasines. Mais qu’est-ce qu’il se passait ? elles semblaient hystériques. Seichiro était une star ? A priori non, il leur indiqua qu’il n’était pas une célébrité. Etrange.

Les filles semblèrent déçues et s’éclipsèrent, les laissant seuls. L’explication du professeur le fit sourire, ainsi il jouait les mannequins, c’était vrai qu’il était plutôt beau, du coup il fallait en effet se demander si les élèves venaient vraiment pour son cours, ou pour son physique.

Ne connaissant pas les lieux, Yuya n’allait sans doute pas s’éloigner de la salle des profs dans laquelle Sei venait d’entrer. Mais, bien qu’il vienne de partir, se retrouver seul commençait à angoisser Yuya. Il s’adossa au mur près de la porte, se laissant glisser jusqu’à se retrouver presque assis contre le mur, le regard baissé. Des pas et des murmures se firent alors entendre autours de lui, relevant les yeux, il vit alors qu’il était cerné par plusieurs filles qui l’observaient en gloussant et en murmurant. Ce demandant ce qu’il se passait, Yuya les observa à son tour, une lueur de peur dans les yeux. Que lui voulaient-elles ?

« Hey t’es nouveau ? T’es en quelle année ? »
« C’est quoi ton nom ? »

« Euh… non pas nouveau… Je… Je ne suis pas élève ici… »

« Qu’est-ce que tu fais ici alors ? »

« Je… J’accompagne Seichiro… »

« Tu connais le professeur ? Dis… Tu n’aurais pas son numéro ? »
« Ou des photos de lui ? Ou des détails croustillants ? »
« Oui allé raconte… »
« D’ailleurs… toi aussi tu es drôlement mignon. C’est quoi ton p’tit nom ? »

Yuya les regardait de plus en plus apeuré, il voulait qu’elles s’en aillent… Ou que Sei revienne vite.

Le jeune professeur écouta son invité sans faire de commentaire, essayant sincèrement de comprendre une histoire qui lui semblait à la fois très obscure et assez compliquée, mais n'y parvenant pas, il décida de ne pas poser de questions. Il supposait que Yuya (puisque tel était son prénom) était encore trop perturbé émotionnellement pour lui donner des explications claires. Il ne le brusquerait donc pas. Le plus jeune lui raconterait quand il serait prêt à le faire.

- Un chiot ?! releva ensuite Seishiro, avant qu'un grand sourire éclaire son visage. Tu peux le ramener à l'appartement ! Ca ne me pose aucun problème bien au contraire ! J'adore les animaux !

Après avoir gentiment tapoté la tête de son cadet, le professeur entra donc en salle des professeurs, dans laquelle il se propulsa jusqu'à son bureau pour récupérer la tablette amovible qu'il fixait au cadre de son fauteuil pour transporter des choses et y empila quelques livres, avant de ressortir. Il se rendit compte de ce qui se passait au moment où il arriva dans le couloir : des étudiantes avaient fait cercle autour du plus jeune qui paraissait terrorisé et le pressaient manifestement de questions. Dirigeant son fauteuil vers elles, il éleva légèrement la voix pour qu'elles puissent l'entendre malgré le brouhaha.

- Puis-je savoir ce que vous voulez à mon cousin mesdemoiselles ? demanda-t-il sévèrement, les sourcils froncés.

La dizaine de jeunes filles se retourna.

- P... Professeur Aizawa...
- Ce garçon... c'est votre cousin ? Vraiment ?
- Bien que ça ne vous regarde pas, oui en effet, Yuya-kun est mon cousin. Par conséquent, je vous demande de le laisser tranquille.

Sur ces mots, Seishiro fendit le cercle (ce qui lui était facile avec son fauteuil), prit Yuya par les épaules pour le relever et s'adressa à lui de son ton gentil habituel :

- Tout va bien, Yu-kun, je suis là. (il éleva ensuite de nouveau la voix à l'adresse des filles qui n'avaient pas bougé) Vous devez avoir cours mesdemoiselles. Ne soyez pas en retard. Filez.

Les étudiantes se dispersèrent donc comme les premières, vaincues par l'autorité tranquille du professeur et ce dernier s'adressa de nouveau à son invité.

- Désolé pour ça, s'excusa-t-il. Je ne pensais pas qu'elles te harcèleraient. C'est ma faute, je devrais me montrer plus ferme avec elles. Viens maintenant, il faut que j'aille à l'amphithéâtre préparer la salle avant l'arrivée des étudiants.

Seichiro semblait enthousiaste à l’idée d’avoir un chiot chez lui, Yuya en fut rassuré, car bien qu’il s’agisse du chiot de Yukio, il devait à présent s’en occuper, même s’il ne savait pas s’il y arriverait vraiment. Cette boule de poils était bien trop choupinoute pour être abandonnée. Mais peut-être que Suishou ne l’aimerait pas lui, il n’était plus vraiment son maître, il arriverait sans doute à faire la différence lui… Il serait fixé lorsqu’ils iraient le chercher.

Le premier contact de Yuya avec l’université, et surtout ses élèves, apeura Yuya. Pourquoi ces filles bizarres lui posaient toutes ces questions ? Il s’était retrouvé incapable de répondre à la plupart de ces demandes. Comment Sei faisait pour ne pas craquer face à elles ? D’ailleurs, heureusement qu’il était vite revenu, une nouvelle fois il le sauva, fendant la foule de filles de son fauteuil. Son cousin… Ah oui, il lui avait dit de donner cette explication, Yuya n’y avait pas pensé. Le savoir près de lui le rassura aussitôt, il avait un pouvoir apaisant sur lui. Sans jamais élever la voix, il parvint à se faire obéir de ces filles, c’en était impressionnant. Yuya le remercia silencieusement et se releva pour suivre le professeur.

Les filles avaient l’air déçue de devoir lâcher leur nouvelle proie, mais n’osaient pas défier l’autorité de leur professeur. Quelques nouvelles réflexions accompagnées de rires se firent entendre alors qu’elles se dispersaient.

« Son cousin ? Et bien ils sont tous sexy dans la famille faut croire… J’en ferais bien mon quatre-heure du petit cousin… »
« Il a l’air d’un poussin tombé du nid… Adorable… Tu crois qu’il va venir étudier ici ? Ce serait bien… »
« En plus on est les premières à l’avoir vu… On se le réservera… »

Brrrr effrayantes ces filles… Yuya les observa à la dérobée avant d’accompagner le professeur jusqu’à son amphi de cours.

« Elles sont… Toujours comme ça ? Comment tu fais pour leur tenir tête ? Elles sont effrayantes… »

En arrivant dans la salle, Yuya fut impressionné, bien qu’il pensait que ce serai plus grand. Il se demanda alors ce qu’il devait faire à présent, où il devait aller.

- Elles ne sont pas méchantes tu sais, répondit Seishiro à l'interrogation anxieuse de son "cousin". Elles ont juste du mal à se contenir quand elles se retrouve face à un garçon séduisant qu'elles ne connaissent pas encore. Et comme tu es séduisant... Mais ne t'inquiète pas, tant que je serais là, je ne les laisserais pas s'approcher de toi.

Un sourire rassurant fleurit sur les lèvres du jeune professeur, qui demanda à son cadet de pousser son fauteuil jusqu'au pupitre qui se trouvait au centre de l'estrade en contrebas de l'amphithéâtre. Evidemment, ce pupitre était étudié pour une personne valide et donc capable de se tenir debout, c'est pourquoi il ne pouvait même pas s'en servir pour poser ses livres, mais il avait pour habitude de stationner son engin au plus près, afin que les étudiants le voient et l'entendent bien.

- Je suppose que tu n'as jamais étudié la littérature française, fit le jeune homme en souriant. Tu verras, c'est fascinant. Pour aujourd'hui, les étudiants devaient faire un exposé par groupe sur sa vie et son oeuvre, tu vas aimer ça, j'en suis sûr, c'est passionnant.

Sur ces mots, il prit un des livres qui se trouvaient sur la tablette ajoutée à son fauteuil et le tendit au jeune homme.

- Tu l'entendras très certainement tout à l'heure, mais Molière était un dramaturge très célèbre et ses pièces de théâtre étaient pour la plupart très drôles. Lis celle-ci, c'est ma préférée parce que c'est une des plus absurdes : "les fourberies de Scapin". Installe-toi une chaise ici sur l'estrade, près de moi. Si tu t’assois dans l'amphi, les étudiantes vont continuer à te harceler et je doute que tu en aie envie.

Il avait à peine fini de parler, que la porte de la pièce s'ouvrit, livrant le passage à une bonne trentaine d'étudiantes. Il n'y avait qu'un seul étudiant masculin, dont le visage s'éclaira en apercevant Seishiro, avant de se durcir en voyant Yuya près de lui.

Ainsi Sei le trouvait séduisant, et c’était selon lui la raison de l’attitude de ces filles. Yuya trouvait cela étrange, si elles étaient ainsi dès qu’elles croisaient un homme séduisant, elles devaient être souvent hystériques. Cette idée le fit sourire, il trouvait ça comique finalement.

Le blondinet poussa le professeur près du pupitre sur l’estrade, pupitre qui n’était pas du tout adapté pour lui, il ne lui servait donc pas du tout. Il l’observa s’installer et préparer ses affaires, il avait plusieurs livres. Sei lui avait bien dit qu’il était professeur de littérature, mais il ne savait pas que c’était de la littérature française. Déjà que Yuya trouvait ça compliqué de base, alors celle d’un autre pays… En plus il n’avait jamais étudié ce genre de choses, il n’avait même rien étudié depuis que Yukio avait pris sa place, alors niveau scolaire, il en était sans doute encore au collège.

« Ca a l’air bien compliqué comme truc… » D’ailleurs qu’est-ce qu’il allait aimer comme style de livres ? Yukio adorait les mangas et les romans à l’eau de rose, et lui ? Arriverait-il même seulement à lire et à comprendre ces pavés qui ont l’air bien compliqués ? Il prit tout de même le livre que lui tendait le professeur, l’observant d’un air suspicieux. « C’est quoi… des fourberies ? » Sei utilisait un langage plutôt compliqué pour lui, mais il allait essayer de suivre quand même.

Yuya allait lui poser d’autres questions mais les élèves commençaient à arriver. Il en profita pour aller chercher une chaise pour l’installer non loin du professeur. Il croisa alors le regard d’un jeune homme, semblant être le seul garçon parmi les élèves. Son regard semblait si hostile qu’il le choqua presque, si bien qu’il préféra détourner les yeux et les poser sur le livre qu’il tenait dans les mains.

L'air perplexe de son invité fit sourire Seishiro, qui lui caressa gentiment les cheveux.

- Ca a l'air compliqué mais je t'assure que ça ne l'est pas tant que ça en réalité. Mais je suppose que je mets la charrue avant les bœufs. Pour que tu puisse comprendre la littérature française, il faut que tu connaisse les bases de cette langue. Je te les apprendrais si tu veux, dit le jeune professeur en souriant. Et des fourberies, ce sont des coups faits en douce, souvent malveillants mais pas toujours.

Il ignorait pourquoi, mais ce garçon lui inspirait une réelle affection et il se souciait réellement de son bien-être ainsi que de ce qu'il savait ou non.

- Va t'asseoir, maintenant que les élèves sont arrivés, je vais commencer le cours.

Il attendit donc que tous les étudiants soient assis en silence, pour prendre la parole d'une voix à peine plus forte que celle qu'il utilisait pour parler en général.

- Bonjour à tous. Aujourd'hui nous allons utiliser le cours pour passer en revue les différents exposés que vous deviez réaliser. Nous allons donc commencer avec le groupe 1. Montez sur l'estrade et faites-nous profiter du fruit de vos recherches.

Trois filles et le garçon se levèrent donc et rejoignirent l'estrade en passant tout près de la chaise sur laquelle était assis Yuya. En passant près de ce dernier, le garçon inconnu en profita pour mettre un grand coup de bras dans la figure de son rival, avec l'air de faire un faux mouvement.

- Ah désolé, je ne l'ai pas fais exprès, lui dit-il dans un sourire contrit que démentait la haine contenue dans son regard.

Il rejoignit ensuite les trois filles et entama un long exposé plein de références, avant de céder la parole à l'une de ses camarades.

- Merci à tous les quatre, fit Seishiro à la fin de l'exposé, en écrivant quelques lignes sur le bloc qu'il tenait. Le groupe suivant s'il vous plait.

Le reste de la séance se poursuivit avec les cinq groupes suivants, puis conclut :

- Les résultats de vos exposés seront en ligne ce soir. A la semaine prochaine tout le monde.

Les étudiants le saluèrent et, profitant que le professeur rassemblait ses affaires, l'étudiant qui haïssait Yuya le regarda en passant son pouce sur le contour de son cou. Geste universel signifiant "tu es mort", puis quitta à son tour l'amphithéâtre.

- Yu'-kun, tout va bien ? lui demanda alors Seishiro en propulsant son fauteuil vers lui sur l'estrade.

Sei avait beau dire que ce n’était pas compliqué, pour Yuya ça ressemblait à un obscur charabia qu’il ne comprenait pas, et il aurait bien besoins de cours supplémentaires pour l’appréhender un minimum. Et cette phrase du professeur lui réchauffa un peu le cœur, s’il voulait lui apprendre, c’était qu’il comptait le revoir, souvent… Il acquiesça alors silencieusement et alla s’installer sur sa chaise.

Le cours commença et Yuya essaya de ne pas se faire remarquer, bien qu’il sentait toujours le regard froid du seul autre garçon présent dans la classe à part eux posé sur lui avec insistance et malveillance. Il y avait aussi beaucoup de filles qui l’observaient, dont les demoiselles qui l’avaient abordé avant le cours, mais avec plus d’envie et de curiosité que le garçon. Yuya se détourna un peu, essayant pour quelques minutes de porter son attention sur le livre qu’il avait, mais n’y comprenait pas grand-chose. Il ferma le livre et s’intéressa à la classe lorsque Sei appela le premier groupe pour leur exposé.

Trois filles et le garçon s’approchèrent alors de l’estrade. Les filles envoyèrent des œillades au jeune homme, le faisant quelque peu rougir, mais il se prit alors un gros coup dans la tronche. Choqué, il laissa échappé un petit cri de douleur qui passa inaperçu dans le brouhaha ambiant. La main posée sur sa joue, Yuya releva les yeux vers celui qui l’avait frappé, l’étudiant, qui le regardait encore avec une telle haine, qui dénotait complètement avec ses fausses excuses. Le jeune homme en était choqué. Pourquoi l’autre s’en était pris à lui ? Il ne lui avait pourtant rien fait… Il n’écouta alors rien de l’exposé et se tassa sur sa chaise lorsque l’autre passa de nouveau près de lui, trop choqué encore pour réagir autrement.

Le reste du cours, Yuya s’arrangea pour ne pas recroiser le regard de l’étudiant, et essaya de s’intéresser un minimum aux autres exposés. Sa joue toujours douloureuse le titillait toujours et il n’arrivait pas à s’empêcher de jeter des coups d’œil à l’autre imbécile qui pavanait devant lui avec son sourire narquois. A la fin du cours, il n’arrivait plus à le quitter du regard. L’autre passa devant lui, faisant glisser son pousse sur la peau de son cou, comme s’il voulait… Le tuer… « Tu es mort »… What ? Non mais pour qui il se prenait cet imbécile ?

Yuya se leva alors brusquement, n’entendant même pas la question de Sei, et se précipita vers l’autre imbécile. Il l’attrapa violemment par le bras et le plaqua contre le mur intérieur de l’amphi, à côté de la porte, l’avant-bras appuyé contre sa gorge, le gênant pour respirer normalement, le regard noir effrayant.

« Pour qui tu te prends ‘spèce de p’tit connard ? Tu crois que tu peux me frapper et me menacer sans en subir la moindre conséquence ? Tu rêves tout debout. Essaye encore pour voir !! »

Mais au lieu de lui répondre, Seishiro vit son invité se précipiter vers Kamikawa Juri, son seul étudiant masculin, les yeux écarquillés de stupeur, le vit le plaquer contre le mur et le bloquer avec son bras. Il n'entendit pas ce qu'il lui disait, mais son air furieux contrastait tellement avec sa quasi apathie précédente, que le jeune professeur en resta figé.
Revenu de sa surprise, l'aîné propulsa son fauteuil vers le duo de belligérants aussi vite qu'il le pouvait.

- Que se passe-t-il ? Yu'-kun, pourquoi tu... pourquoi tu agresse Kamikawa-kun ? Lâche-le s'il te plait.
- Aizawa sensei ! Ce type est dingue ! Il s'est jeté sur moi et m'a menacé ! Appelez la police, il faut le faire enfermer ! pria l'étudiant d'un ton larmoyant très convaincant.
- C'est impossible, ce n'est pas son genre. Il doit y avoir un malentendu. Yu'-kun, tu peux m'expliquer ?

Encore abasourdi, il observait le visage crispé de fureur de son cadet. Au moins il n'était plus apathique, mais il ne lui avait pas semblé que les deux garçons s'étaient adressé la parole, alors il ne comprenait pas pourquoi son doux "cousin" était brusquement devenu agressif et il ne voulait pas porter de jugement sans savoir.

L’étudiant semblait bien moins sûr de lui à présent que Yuya le bloquait contre le mur. Le petit ange adorable et fragile s’était mué en combattant énervé à sa grande surprise. Yuya lui ne voulait pas le lâcher, sans savoir pourquoi, il était perdu. Dans sa tête tout se bousculait, il se rappelait de se qu’il s’était passé la veille, l’abandon, la peur, la douleur, l’apathie, puis la fureur, et l’air haineux et méprisant de cet étudiant l’avait fait disjoncter. Il représentait tout ce qui lui était arrivé en si peu de temps, et lui, il pouvait l’affronter.

Il sursauta lorsqu’il entendit la voix du professeur qui l’appelait mais ne lâcha pas le garçon. Et l’entendre se plaindre en se la jouant larmoyant alors que juste avant il voulait le voir mort… Quel traitre et quel fayot. Son regard noir resta encore un moment posé sur l’étudiant avant de se tourner vers le professeur. Il lui répondit d’une voix plus rauque qu’habituellement, tintée de hargne.

« Il joue les lapereaux apeurés, mais depuis qu’il est entré dans l’amphi, il n’a qu’une envie, m’exterminer, je l’ai senti… »

« C’est n’importe quoi, il m’a attaqué sans raison ! je ne lui ai rien fait… » Chouina l’étudiant.

« C’est pour ça que tu m’as frappé l’air de rien ? Que tu me fusilles du regard à la moindre occasion ? Que tu m’a menacé de mort en sortant de l’amphi ?? Tu me prends pour un con ? » Fulmina le blondinet.

« Quoi ? Mais… Non… C’est… Vous… Non… » Bafouilla le garçon en rougissant, essayant de trouver une façon de se dérober.

« Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu me prennes en grippe comme ça ? » Claqua Yuya en le lâchant et en s’écartant. « J’avais l’air faible alors tu t’es dit que tu pouvais t’en prendre à moi ? Pas de bol… »

- T'exterminer ? Yu'-kun, de quoi est ce que tu parle ? Je sais bien que tu as traversé des épreuves, mais tu ne crois pas que tu exagère un peu ? Je connais bien...

Il s'interrompit en entendant répliquer Yuya et aperçut alors l'hématome qui commençait à se former sur sa joue. Hématome qui n'était pas présent en début de cours et qui attestait de la véracité des paroles de son invité. Et si cette partie était vraie, il n'y avait aucune raison que le reste ne le soit pas.
Le regard du professeur se durcit et il attrapa son élève pour qu'il lui fasse face.

- Puis-je savoir ce qui t'as pris, Kamikawa-kun ? lui demanda-t-il d'un ton sec et froid contrastant avec son habituelle chaleur. A quel moment t'es-tu dis qu'agresser mon cousin était une bonne idée ?
- Sensei, je... En fait je...
- Non je n'ai pas envie d'entendre tes excuses infantiles. Je t'exclus de mon cours jusqu'à la fin de tes études. Va-t-en et ne reviens pas.

Le jeune homme baissa la tête, comprenant qu'il avait fait un très mauvais calcul en montrant son hostilité devant lui et s'éloigna finalement, avant de sortir de l'amphithéâtre. Resté seul avec son "cousin", Seishiro le fixa. Il avait du mal à croire que le garçon tout timide et choqué qu'il avait recueilli, ne faisait qu'un avec celui, sûr de lui et un peu bagarreur, qu'il avait encore sous les yeux.

- Yu'-kun ? Tu... C'est bien toi ? fit-il tout en sachant que sa question était stupide.

Sei commença par dire à Yuya qu’il devait affabuler, ce qui le blessa presque plus que l’attitude de cet imbécile face à lui. Il ne le croyait pas, il pensait qu’il hallucinait, qu’il exagérait… Mais pourquoi ? Et surtout pourquoi ça le blessait autant ? C’était à cause de ce pleurnichard, raison de plus pour l’exploser… Mais il le lâcha tout de même et s’écarta, il se sentait toujours blessé, sans vraiment savoir pourquoi. Sei sembla le croire enfin, sans qu’il sache pourquoi il avait changé d’avis. Il ne semblait plus apprécier son cher élève adoré, son ton était sec et froid. L’élève semblait choqué mais surtout gêné de s’être fait prendre, mortifié même, avant de filer.

Resté seul dans l’amphi avec le professeur, Yuya n’avait pas bougé depuis le départ de l’élève, la tête baissée, les yeux humides, le cœur toujours douloureux. Il était perdu, se sachant pas pourquoi il avait si mal réagit face à l’élève, ni pourquoi il se sentait si mal de ne pas avoir été cru par Sei. Après un long silence, la voix de Sei se fit entendre, lui demandant s’il était bien lui… Bah quoi qui voulait-il qu’il soit ? Il n’est plus que lui, son autre lui n’est plus là…

« Oui… C’est moi… » Sa voix était un peu éraillée, troublée, indécise… « Pourquoi ? Pourquoi tu… ne m’as pas cru ? » C’était une des choses qui le gênait, il le sentait, mais pourquoi ça le blessait tant ? « Et qu’est-ce qui t’as fait changer d’avis ? » Yuya ne le regardait toujours pas, ne sachant quoi faire.

Manifestement, sa réponse avait blessé son invité et Seishiro se maudit de sa maladresse alors qu'il sortait à peine de sa détresse. S'il retombait dans son état précédent, il s'en voudrait pendant longtemps. Et lorsque la voix du plus jeune s'éleva de nouveau, elle était redevenue hésitante et même un peu tremblante.

- Je ne t'ai pas cru parce que... je pensais connaitre Kamikawa-kun et je t'ai vu... l'agresser sans que je puisse comprendre ce qui se passait. Les circonstances étaient contre toi et, à ma grande honte, je n'ai pas cherché à aller plus loin que ce que je voyais. Mais j'ai changé d'avis, parce que tu étais trop en colère pour que ce soit normal. Et puis j'ai un peu appris à te connaitre, tu n'es pas quelqu'un d'agressif, bien au contraire, alors ça ne cadrait pas du tout. Du coup j'ai compris qu'il mentait. Yu'-kun, je suis désolé de ne pas t'avoir cru. J'aurais du te faire confiance et savoir que tu n'aurais pas agi comme ça sans une bonne raison.

Le remord s'affichait clairement sur le visage du jeune professeur, alors qu'il s'approchait pour prendre son cadet dans ses bras, lui caressant lentement le dos.

- Qu'est ce qui s'est passé exactement ? Qu'est ce qu'il t'as dis ? Et... comment tu as pu t'énerver à ce point ? Tu n'avais plus l'air d'être le Yu'-kun que j'ai appris à connaitre.

L’explication du professeur ne calma pas le jeune homme. Il ne comprenait pas pourquoi il avait si mal, ni pourquoi les paroles du prof l’avaient tant touchées. Pourtat avant il était bien plus dur que ça, dans sa première vie, lorsqu’il était petit et qu’il jouait les voyous avec son pote Shuriken… Yukio l’avait-il rendu hypersensible ? Ou était-ce parce que c’était lui, Sei, celui à qui il se raccrochait pour sortir des ténèbres ? Il était vrai aussi que les circonstances étaient contre lui, l’autre avait agi sournoisement pour que personne ne le remarque, c’était normal que Sei pense que c’était lui qui avait attaqué…

Le regard toujours baissé vers le sol, Yuya écoutait le professeur s’excuser et lui expliqué qu’il le connaissait assez pour savoir qu’il n’était pas quelqu’un d’agressif. Mais comment pouvait-il le connaitre alors que lui ne se connaissait même pas ? Celui qu’il connaissait depuis la veille n’était qu’une réminiscence de Yukio le petit ange, lui n’était pas comme ça… Ou peut-être que si… Et si il redevenait comme il était enfant ? Mais il n’avait pas l’impression d’être encore pareil. Et si Sei finissait par être déçu de celui qu’il était vraiment ?

Tout se mélangeait dans sa tête, et les questions étaient légions, aussi sursauta-t-il lorsque le professeur le prit dans ses bras. Instinctivement, ses bras se resserrèrent eux aussi autours de Sei et il se blottit contre lui, il avait besoin de sa présence.

« Je… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé… » Commença-t-il d’une voix hésitante. « Depuis qu’il est entré, j’ai vu dans ses yeux qu’il me détestait… Je ne sais pas pourquoi. Et quand il est venu faire son exposé, il m’a frappé un grand coup dans le visage, faisant style qu’il n’avait rien fait… Il a continué tout le cours et en sortant il m’a bien exprimé, par geste, « tu es mort »… Et là… » Il s’arrêta quelques secondes, essayant de trouver ses mots, de remettre ses idées en ordre. « J’ai pété un câble, c’était… Comme si j’étais en transe… Je voulais juste… le détruire, comme s’il représentait tout ce que je ne pouvais pas combattre… » Yuya s’arrêta de nouveau, la voix tremblante. « Tu dis avoir appris à me connaître… Mais je ne me connais pas moi-même… Je ne sais plus qui je suis… »

A partir du moment où Seishiro prit Yuya dans ses bras, il sentit que le garçon redevenait celui qu'il connaissait et sentir ses bras autour de lui lui fit plaisir il ne savait pourquoi. A présent que ses frères et sœurs étaient grands, il n'avait plus vraiment l'occasion de prendre soin d'eux ni de les serrer contre lui de cette façon. Même s'il ne les avait plus contactés depuis son accident. Avec Yuya, il avait de nouveau l'impression d'être un grand frère. d'être utile.
Il écouta ses explications en silence et passa doucement le pouce sur l'hématome qui bleuissait sur sa joue.

- Je ne sais pas si je serais en mesure de t'aider à retrouver... enfin à savoir qui tu es... mais sache que je ferais tout pour t'aider, Yu'-kun. Je ne t'abandonnerais pas, je te le promets. Je t'aime bien, tu sais. Tu me fais penser à mes petits frères.

Un sourire doux fleurit sur les lèvres du jeune professeur et il lui caressa de nouveau les cheveux.

- Si nous allions déjeuner ? Je t'invite. J'ai environ deux heures avant mon cours de l'après-midi. Ensuite, il faudra que j'aille à ma séance de rééducation.

Yuya s’accrochait au professeur, sa présence apaisait son cœur et ses angoisses. Et même au-delà de ça, c’était comme s’il ne voulait pas s’éloigner de lui, comme si quelque chose en lui le complétait, comblait le vide en lui. Mais c’était tellement flou, trouble, qu’il ne s’en rendait pas réellement compte. Pour le moment, la présence de Sei le rassurait et le calmait. Es paroles lui réchauffèrent le cœur, il l’aimait bien et n’allait pas l’abandonner, pas comme Yukio ou Kaito…

« Merci… » Sa voix était basse mais sincère. Savoir que quelqu’un serait là pour lui le rassurait tellement. « Tu as des frères ? » Frère… Yukio était son frère, avant d’être son autre lui. Mais à présent… « Yukio !! »

Yuya s’était soudain écarté de Sei en s’écriant le nom de son frère. Yukio… Le jeune homme qu’ils avaient rencontré la veille avec Kaito, celui qui lui ressemblait tant. Kaito l’avait emmené loin de la bagarre, mais après… Qu’était-il devenu ? C’était bien lui, son frère non ? Alors… Il était en vie toutes ces années ? Et ce Yukio qui avait pris sa place… Il pensait que c’était l’âme de son frère qui était venue l’habiter, le sauver, mais s’il était en vie… Pourquoi ?

La caresse de Sei dans ses cheveux le ramena à la réalité. Le regard perdu pendant quelque secondes encore avant que son ventre ne réponde pour lui en grognant. Rougissant, Yuya baissa les yeux et acquiesça d’un geste de la tête.

Un sourire fleurit sur les lèvres de Seishiro à l'évocation de ses frères.

- Oui deux petits frères et quatre petites sœurs. Shinobu a 24 ans, Shin 21, Satomi 20, Sae 18, Saori 16 et Shizuku 15. Comme tu le vois, je suis l'aîné d'une famille très nombreuse. (il perdit son sourire et, en pilotant le plus jeune vers la cafétéria, demanda avec le plus grand sérieux) Quand est ce que tu as vu Yukio pour la dernière fois ? Et où ? Ca sera une base pour notre enquête.

En attendant qu'il réponde, il choisit ce qu'il souhaitait manger et indiqua au plus jeune de faire de même. Comme d'habitude, il ignora les regards insistants des étudiantes et s'installa à une table un peu à l'écart, avant de commencer à manger tout en réfléchissant à ses nouvelles responsabilités vis à vis de Yuya.

Yuya fut étonné en apprenant le nombre de frères et sœurs qu’avait le professeur. Ca existait encore les familles si nombreuses de nos jours ? Lui qui était fils unique, il avait du mal à imaginer… Enfin… fils unique, il ne l’était pas en fait, il avait un jumeau, qu’il ne connaissait pas et qui était lui jusqu’à hier… Alors…

« Ouah c’est une sacré tribu… Et vous vous entendez bien ? » Yuya poussait le fauteuil du professeur, suivant ses indications, cherchant comment lui expliquer la situation. « Moi je suis… fils unique… Enfin je l’étais jusqu’à hier, quand j’étais encore Yukio… Mais le vrai Yukio est apparu et… Je suis redevenu Yuya… Yukio est… » Yuya hésita et se gratta le crâne avant de reprendre en détournant les yeux. « C’est mon frère jumeau, mais il était sensé être mort… Il y a plus de dix ans… »

Il y eut un blanc le temps que toutes les informations soit intégrées par le cerveau de Seishiro. Donc s'il résumait la situation : Yuya, fils unique jusqu'à la veille, mais son frère jumeau Yukio sensé être mort était revenu et du coup... Non en fait c'était là que les choses devenaient compliquées à comprendre... parce qu'étant donné la façon dont il parlait, le jeune professeur avait l'impression que son jeune ami avait un dédoublement de la personnalité puisqu'il semblait qu'il avait pris pour lui la personnalité de son jumeau sensé être décédé.

- C'est... un peu confus pour moi mais... si j'ai bien compris, ton jumeau est en fait en vie alors que tu le croyais mort depuis dix ans. C'est une bonne chose non ? Tu devrais être content mais tu as l'air complètement bouleversé. Je n'aime pas te voir comme ça... Ecoute demain je ne travaille pas, alors nous irons mener l'enquête d'accord ? Peut-être que des gens auront aperçu ton frère quelque part. En attendant, mange d'accord ? Il va te falloir des forces pour tout ça et j'aurais besoin de toi pour cet après-midi.

Le silence s’était installé entre eux et Yuya craignait d’en avoir trop dit. Son histoire était trop bizarre pour que les gens normaux y croient, ou pour qu’ils ne le prenne pas pour un fou, il en était persuadé. Et si Sei se mettait à rire, ou lui dise d’arrêter ses délires ? Pourrait-il réellement croire que l’esprit de sot s’il le rejetait comme Kaito ? Pas sûr qu’il s’en remette si c’était le cas, Sei lui avait permis de calmer l’immense douleur qui voulait le submerger, il ne se sentait pas prêt à se retrouver seul à nouveau.

Lorsque Sei prit la parole, le plus jeune se sentit soulagé, il ne semblait pas lui en vouloir, ni le prendre pour un fou. Il avait même proposé d’essayer de retrouver son jumeau, ça touchait Yuya, mais en même temps il était troublé. Etait-il prêt à le retrouver ? La veille il était encore Yukio, donc c’était comme s’il était avec lui-même, et il y avait Kaito… Mais là… A présent qu’il était redevenu lui-même… Comment allait-il réagir en le voyant ?

« C’est… Compliqué… Je devrais sans doute être heureux, tu as raison… Mais c’est… Tellement étrange et soudain… Yukio… C’était moi… J’étais lui… Moi, je n’existais plus, ou presque plus… Et il avait Kaito… Mais soudain, il est apparu avec Kai, et il s’est fait attaquer, et moi j’ai émergé, pour le protéger, comme les autres fois… Mais depuis, Yukio a disparu, je ne suis plus que… Moi… il n’est plus là, il n’y a plus qu’un immense vide… Et ça fait si mal… »

Yuya serra ses mains au niveau de son cœur pour tenter d’apaiser la violente douleur qui l’avait soudain submergé.