An-chan à la rescousse !

Il était un peu plus de minuit lorsque Seishiro quitta l'appartement de son meilleur ami situé non loin de la gare JR de Kyoto où il avait passé une excellente soirée. Heureusement pour lui, l'immeuble dans lequel habitait ce dernier disposait d'un ascenseur car sinon il aurait eu du mal à se rendre chez lui, puis cela faisait maintenant un an qu'il était bloqué dans un fauteuil roulant à la suite d'un accident de voiture qui avait coûté la vie au conducteur. Il s'en était tiré par miracle mais avec une paralysie temporaire contre laquelle il se battait depuis par des exercices de kinésithérapie quotidiens. C'était un combat quotidien, mais sa volonté de retrouver l'usage de ses jambes était plus fort que leur côté fastidieux et douloureux. N'ayant pas les moyens financiers de se payer un fauteuil électrique (un professeur même à l'université, ne gagnait pas des millions de yen par mois), il comptait sur la force de ses bras pour l'emmener là où il le souhaitait. Force qui s'était d'ailleurs accrue depuis l'accident, en même temps qu'il se musclait les bras. Un bâillement sonore lui échappa. Il ne se couchait en général pas si tard lorsqu'il avait cours le lendemain, mais il n'avait pas pu dire non à Keisuke dont c'était l'anniversaire. Il se dirigeait vers la gare, lorsqu'il entendit des pleurs venir de la sombre ruelle devant laquelle il était en train de passer. Son instinct d'aîné de grande fratrie (il avait tout de même deux petits frères et quatre petites sœurs) habitué à protéger les plus faibles refaisant immédiatement surface, il fit pivoter son fauteuil et le propulsa rapidement vers l'intérieur de la venelle chichement éclairée. Là, à quelques mètres devant lui, se trouvait un jeune homme recroquevillé sur le sol sous l'unique réverbère à la lumière vacillante. Les sanglots déchirants qui montaient de sa gorge serrèrent celle du professeur, qui s'approcha de la silhouette tassée.

- Hé... Ca va ? demanda-t-il doucement, sincèrement inquiet pour lui. Tu as mal quelque part ? Je peux faire quelque chose pour t'aider ?

La douleur et le désespoir qui enserraient le cœur le l'âme de Yuya l’empêchaient de reprendre pied dans la réalité. Incapable du moindre mouvement , seuls ses sanglots secouaient son corps frêle recroquevillé sur le sol dur et froid. Lui qui avait tant espéré retrouver sa vie n'en voulait déjà plus, il voulait que Yukio revienne. N’avait-il donc pas le droit d'exister ? Etait-il finalement vraiment mort dix ans auparavant ? Et si Kaito avait raison et qu'il n'avait plus aucun intérêt pour personne parce qu'il n'était plus le petit ange ? Que pouvait-il faire à présent ? Plus personne ne l'attendait, plus personne ne le connaissait, il n'était plus personne. Il n'avait plus qu'à rester ici dans cette ruelle où personne ne passait généralement, peut-être quelqu'un le retrouverait un jour…

Perdu dans ses pleurs, Yuya n'entendit pas la personne qui s'approcha de lui, d'ailleurs peu lui importait qui il pouvait être. Tout ce qu'il désirait à présent était disparaître à nouveau, qu'un autre reprenne sa place. Les premières paroles qui lui furent adressées, il ne les comprit pas, sans doute une hallucination, qui pourrait lui parler ? Les paroles suivantes le firent réagir. Quelqu'un lui parlait vraiment. Il releva un regard noyé de larmes vers l'importun et l'observa un moment, sans vraiment le voir, l'obscurité et les larmes troublant sa vision. L'aider ? Comment pourrait-il l'aider ? Lui qui n'avait pas d'existence ? Il ne pouvait rien faire, personne ne le pouvait.

« Va-t-en… Laisse moi… Je ne suis personne… Tu ne peux rien faire… » La voix faible de Yuya entrecoupée de sanglots se fit entendre alors qu'il tentait de s'éloigner de cet homme, bien qu'il en soit incapable, tant il manquait de forces.

Les mots qui franchirent les lèvres du jeune homme, apparemment désespéré, qui lui faisait fasse, serrèrent la gorge de Seishiro. La logique aurait voulu qu'il fasse pivoter son fauteuil et roule hors de cette rue où il n'avait rien à faire, loin de ce garçon inconnu dont il n'avait pas à se mêler de la vie. Mais ce garçon aurait pu être l'un de ses petits frères et la conscience du professeur lui interdisait de laisser dans un tel état de détresse émotionnelle quelqu'un qui avait très manifestement besoin de son aide... même s'il ne savait pas encore très bien quel genre d'aide il était en mesure de lui apporter dans l'immédiat.

- Ne dis pas ça... Je ne te connais pas et j'ignore ce que tu traverse, mais tu es encore très jeune, tu peux rebondir, t'en sortir, j'en suis certain, lui dit-il de sa voix grave si apaisante. Relève-toi, que je vois si tu es blessé.

Et sans donner le temps à son interlocuteur de réagir (d'ailleurs il doutait qu'il en soit réellement capable étant donné sa présente fragilité émotionnelle), il se pencha par dessus son fauteuil, saisit le jeune homme par les épaules et, doucement mais fermement, le fit lever. La lumière de l'unique réverbère était trop faible pour qu'il puisse vraiment se rendre compte, mais de ce qu'il pouvait voir, le jeune homme ne présentait pas de signe de blessure.

- Je m'appelle Aizawa Seishiro, j'ai 28 ans et je suis professeur de littérature à l'université. Et toi qui es-tu et que t'es-t-il arrivé ? Je suis désolé de poser la question mais étant donné les circonstances, il faut que je sache pour pouvoir t'aider. Et ne me répète pas que personne ne peut rien pour toi. Tout problème a sa solution même si elle ne saute pas toujours aux yeux.

Yuya ne faisait déjà plus attention à la personne qui venait de lui parler, persuadé qu'il était déjà parti. D'ailleurs cette pensée ne lui avait même pas traversé l'esprit, tellement englué dans le désespoir qui l'accablait, son esprit semblait hermétique à toute autre pensée ou sensation. Il n'était rien, il avait tout perdu, son autre lui, son petit-ami, enfin le petit-ami de son autre lui, sa vie. Kai le lui avait bien dit, il ne valait rien sans Yukio. Qu'allait-il donc devenir ? Pouvait-il continuer à vivre ? Il avait si mal, qu'il en doutait.

La voix parla de nouveau, le faisant sursauter. Il n'était donc pas parti ? Pour quelle raison ? Ne voyait-il pas que sa place n'était pas ici ? Qu'il ne voulait pas de lui ? Qu'il voulait juste disparaitre loin du monde ? Il devait pouvoir s'en sortir, rebondir, selon l'inconnu ? Comment le pourrait-il ? Il ne savait rien de lui, ce qu'il disait n'était que du baratin inutile. Il releva tout de même la tête pour le regarder, posant sur lui un regard si larmoyant qu'il ne le distinguait même pas. Incapable de parler, il secoua juste la tête en signe de négation, mais à quoi répondait-il ? Il ne le savait pas.

Yuya se détourna, espérant que l'autre s'en irait, mais des mains l'agrippèrent et le firent se relever. Que faisait-il ? Il regarda l'inconnu, choqué et incrédule. Pourquoi le soulevait-il comme ça ? La surprise avait au moins eu le mérite de faire cesser temporairement ses pleurs. Tenant difficilement sur ses jambes tremblantes, il écouta le laïus de l'inconnu mais ne comprit pas tout, l'esprit trop embrumé. Il comprit tout de même qu'il lui demandait qui il était, sa voix faible et rauque se fit entendre.

« Je suis Yu… » Il s'arrêta alors, incapable de continuer. Qui était-il ? Yuya ? Yukio ? Il avait été Yukio si longtemps… Pouvait-il vraiment redevenir Yuya ?

La douleur le submergea de nouveau et les pleurs reprirent. Ses jambes lâchèrent et il s'affala soudain sur les jambes du jeune homme, ses bras l’agrippant pour sentir sa présence malgré lui.

Après tout son laïus, Seishiro  s'attendait à des réponses claires, mais il devait se rendre à l'évidence, son interlocuteur était trop bouleversé pour réussir à s'exprimer correctement. Tout ce qu'il obtint fut un prénom et il devinait à l'intonation qu'il ne s'agissait pas de son prénom complet, mais il jugea préférable de ne pas insister sur ce point, surtout quand il le vit s'effondrer une nouvelle fois. De nouveau, son cœur se serra e le voyant dans cet état. Il imaginait facilement Shinobu ou Shin à sa place. Il hésitait donc à prendre dans ses bras ce jeune inconnu pour lui apporter le réconfort dont il semblait avoir grand besoin, puis son bon cœur l'emporta et il le prit dans ses bras comme il le put. Puis, après quelques minutes pendant lesquelles il lui caressa les cheveux, reprit du même ton gentil mais ferme dont il usait d'ordinaire avec ses frères et sœurs ou ses élèves.

- Allons, Yu-kun, les choses paraissent toujours noires de prime abord, mais elles ne le sont pas toujours. Ecoute, il est très tard et il commence à faire froid, tu ne vas pas rester dehors, tu risque de tomber malade. Demain matin, tu seras calmé, tu pourras me raconter ton histoire et nous réfléchirons ensemble à une solution. Je t'emmène chez moi si tu es d'accord. Je n'habite pas loin mais il va falloir que tu te lève et que tu marche. Je suis monté sur roulettes, mais ce sont des roulettes manuelles, pas électriques, alors je ne peux pas te porter.

De nouveau, il le fit relever et leva le bras pour effacer ses larmes, puis lui fit signe de le suivre alors qu'il propulsait de nouveau son fauteuil, mais hors de la sordide ruelle cette fois.

Yuya ne se rendait pas compte qu'il s'était écroulé sur une personne, ni même qu'il s'accrochait désespérément à elle. S'il s'en était rendu compte, sans doute se aurait-il essayé de s'enfuir pensant qu'il n'avait plus le droit de vivre sans Yukio. A présent c'était inconsciemment qu'il s'accrochait à cet inconnu, comme un chaton à la recherche de chaleur, comme un désespéré s'accrochant à une bouée de sauvetage. La douleur qu'il ressentait, ainsi que l'immense vide qu'avait laissé Yukio, l'empêchaient de réfléchir, ou même de simplement penser, il n'arrivait qu'à pleurer.

Après plusieurs longues minutes, Yuya se sentait tellement épuisé et vide qu'il n'arrivait même plus à pleurer, à part quelques larmes qui s'échappaient sans qu'il en ait conscience. La voix parla de nouveau, le faisant légèrement tressaillir. Il leva les yeux vers lui, sans vraiment le voir, l’air totalement perdu. Il ne comprit pas tous les mot qu'il entendit, ou plutôt leur sens semblait avoir disparu de son esprit. Il se laissa relever et tenta de ne pas trop vaciller. Le contact de la main inconnue sur sa joue fut agréable, mais trop fugace pour qu'il réagisse.

Yuya observa alors l'homme à roulettes s'éloigner, mais il semblait attendre quelque chose, qu'il le suive ? Sans trop savoir pourquoi, il le suivit alors, tel une marionnette suivant les fils auxquels elle est attachée, titubant et vacillant.

Toujours aussi inquiet pour son interlocuteur, Seishiro vérifia une nouvelle fois qu'il le suivait. En réalité il craignait que Yu-kun ne finisse par s'immobiliser et il était dans l'impossibilité technique de prendre sa main pour s'assurer qu'il vienne. "Heureusement" le garçon ne semblait même pas avoir la volonté de s'enfuir. Il lui emboîta donc le pas comme une poupée mécanique et ne le lâcha pas jusqu'à son appartement qu'ils atteignirent par un ascenseur sans que le garçon ait prononcé le moindre mot supplémentaire.

- Voilà, c'est chez moi, déclara le jeune professeur en entrant après avoir ouvert la porte.

Après son accident, les lieux avaient été réaménagés de façon a ce qu'il puisse tout atteindre de son fauteuil, que ce soit au niveau de l'ameublement, des accessoires, de la vaisselle. Il avait également du faire refaire sa baignoire en baignoire sabot avec une porte étanche qui lui permettait de passer facilement de son engin au siège incorporé de la baignoire. Dans sa chambre, une barre fixée au mur lui permettait de faire ses exercices de rééducation sans aide même si ça restait douloureux et infiniment pénible. Mais il savait que s'il voulait remarcher un jour, c'était nécessaire.

- Viens, Yu-kun, je vais te donner à boire et une bricole à manger, mais je pense que tu as surtout besoin de dormir. On verra le reste demain. Heureusement je n'ai pas cours demain.

Se propulsant dans la cuisine, Seishiro prit le plateau qui lui servait de troisième main, le cala fermement sur ses genoux et ouvrit le frigo pour en tirer une petite bouteille d'eau, ainsi que quelques légumes frais qu'il posa sur le plan de travail abaissé et tailla en julienne, avant de préparer rapidement des ramen sautés (il évitait les plats nécessitant des bouillons, impossibles à transporter en toute sécurité en fauteuil), puis apporta le tout à son invité.

- J'ai fais simple, parce qu'il faut vraiment que tu dorme, Yu-kun, alors mange ça pendant que je vais préparer ta chambre.

Sur ces mots, il alla à la toute petite chambre qu'il n'utilisait pas et sortit du placard une couette et un oreiller qu'il disposa sur le lit qui prenait presque toute la place dans la pièce.

Yuya avait suivi l'homme sans s'en rendre compte, son cerveau semblait l'avoir déconnecté de la réalité. Son corps bougeait, marchait, répondait aux demandes d’autres personnes, mais il n'était pas vraiment là, d'ailleurs il ne savait pas où il se trouvait, il était perdu dans une dimension parallèle sans doute. Mais à présent la fraicheur de la nuit semblait avoir laissé la place à de la douceur et le brouhaha de la rue avait disparu, et bizarrement il avait remarqué ses détails. Comme quoi l'esprit se raccroche parfois à détails presque insignifiants.

Yuya avait également capté que l'homme l'avait laissé quelques instants seul, dans cet endroit bizarre, ou tout au moins inconnu, bien qu'il n'en ait pas retenu la raison. A présent il se tenait debout, au milieu d'une pièce qui semblait agréable, mais encore perdu dans son monde, il ne remarqua même pas comment elle était. L'autre homme était revenu et lui avait parlé avant de repartir dans l'autre sens. Que lui avait-il dit ? Il ne savait pas. L'odeur qui se dégageait  du plat fit grogner son estomac, mais il n'y fit pas attention. Il se sentait tellement vide que même la nourriture n'avait aucun intérêt pour lui en cet instant.

Un bruit l’attira vers une autre pièce, il le suivit par instinct, s'arrêtant un moment à la porte avec son air de chaton perdu, avant de reprendre son chemin vers la source de chaleur montée sur roulettes, qu'il ne remarqua pas. Il s'arrêta près de lui, son corps voulait s’accrocher à cette source de chaleur pour tenter de combler son vide, mais son esprit semblait trop perdu pour ça.

Comprenant à la mine de son jeune invité qu'il n'était en état de rien faire seul, Seishiro comprit qu'il allait devoir l'aider pour tout jusqu'il soit en état de lui expliquer sa situation et le fit asseoir sur le canapé en l'y poussant doucement, puis se saisit des baguettes et entreprit de lui donner la becquée comme à un petit enfant, jusqu'à ce que l'intégralité du bol soit vide. Constatant ensuite son air toujours perdu, le cœur trop tendre du jeune professeur se serra et il transféra rapidement son poids du fauteuil roulant au canapé, avant d'attirer le plus jeune contre lui, lui caressant gentiment le dos en lui murmurant des paroles réconfortantes.

- Ca va aller, Yu-kun... Tu n'es pas seul, tu n'es plus seul. Je vais t'aider. Je ne sais pas encore comment, mais je te promets de tout faire pour t'aider.

Poussé par sa nature gentille et aimante, Seishiro déposa un petit baiser dans les cheveux de son cadet et le berça doucement, cherchant à l'apaiser par tous les moyens à sa disposition.

Yuya se laissa pousser jusqu'au canapé, incapable de s'y opposer, il ne semblait n’être plus qu'une poupée de chiffon vide. Assis sur le canapé, il regarda sans vraiment les voir les baguettes approcher de lui, emportant un peu de nourriture. Levant son regard vide vers son hôte, il s'interrogea un moment, sans vraiment chercher de réponse, avant d'ouvrir machinalement la bouche pour manger. L'opération se répéta plusieurs fois jusqu'à ce que le bol soit vide, mais Yuya se sentait toujours aussi vide et perdu. Qu'allait-il devenir à présent ?

Une soudaine chaleur agréable l'entoura alors et une douce sensation dans son dos. Instinctivement, ses bras entourèrent la taille du jeune homme et ses mains s'accrochèrent au tissus de son haut. Les paroles réconfortantes et ses gestes tendres le firent sortir de sa torpeur. Ses larmes se remirent à couler et il s'agrippa de toutes ses forces.

Etant donné son état apathique, Sei était loin de s'attendre à ce que son jeune invité s'accroche littéralement à lui et se mette à pleurer à gros sanglots. Il n'y connaissait rien en psychologie, mais son expérience avec ses frères et sœurs ainsi que son bon cœur lui dictaient son comportement, aussi se contenta-t-il de le serrer contre lui en lui caressant les cheveux, le laissant pleurer tout son soul. Le jeune homme sentait au fond de lui que le fait qu'il craque de cette façon était le point de départ d'une lente "guérison" et peut-être que dans quelques heures, il serait en mesure de lui apprendre qui il était et quelle était son histoire pour qu'il se soit retrouvé dans un tel état émotionnel.
Sans se lasser ni manifester d'impatience, le professeur continua longtemps à réconforter le plus jeune, attendant simplement qu'il se calme de lui-même.

- Est ce que ça va mieux ? demanda-t-il doucement après un bon quart d'heure. Tu veux un verre d'eau ?

Yuya sentait enfin quelque chose, ou plutôt quelqu'un, à qui se raccrocher, comme une lueur dans les ténèbres. Lui qui n'avait plus d'existence et que tout le monde avait abandonné, ressentait une chaleur douce et apaisante, une présence qui permettait à son cœur de se décharger de sa douleur et, en quelques sortes, de s’apaiser. Il resta un long moment à pleurer dans ses bras sans que le jeune homme ne montre le moindre signe d'impatience. D'ailleurs combien de temps s'était écoulé ? Il n'en savait rien, mais étrangement, son cœur lui semblait moins douloureux. Ses larmes s'étaient peu à peu estompées et ses lourds sanglots s'étaient mués en de légers spasmes.

Lorsque son hôte lui posa sa question, Yuya sursauta légèrement, mais il ne put qu'acquiescer doucement de la tête, n'étant visiblement toujours pas en état émotionnel de parler. Il acquiesça une nouvelle fois pour le verre d'eau, s'apercevant que sa gorge était desséchée d'avoir trop pleuré.

Voir le jeune homme commencer à se calmer, rassura un peu le jeune professeur, qui ne s'écarta pourtant de lui que le temps d'aller chercher à a cuisine le verre d'eau promis, puis le lui tendit en lui recommandant de boire lentement pour ne pas s'étrangler. Il attendit ensuite que le récipient soit vide pour le reposer sur la table basse et, lui caressant une nouvelle fois les cheveux avec tendresse, tenta une nouvelle fois de le faire parler.

- Je suis désolé d'insister, Yu-kun, parce que je comprends que ça puisse être douloureux à raconter, mais est ce que tu veux bien m'expliquer ce qui t'as mis dans cet état ? demanda-t-il d'un ton sincèrement inquiet. Je sais qu'on ne se connait pas, mais ta détresse m'a bouleversé et je... je voudrais vraiment t'aider. Mais je ne pourrais rien pour toi si tu ne m'explique rien.

L'enseignant avait tellement l'impression de voir en lui Shinobu ou Shin, qu'il ne se voyait pas abandonner le plus jeune. Il aurait l'impression d'être une mauvaise personne.

Yuya était dans un état second et ne remarqua qu'à peine l'absence temporaire du jeune homme. Il but machinalement le verre qu'il lui tendait. L’eau lui fit du bien. Même s'il était encore désemparé, il se sentait un peu plus calme, il n'était pas seul même si tous l'avaient abandonné. Cet homme, cet inconnu était là avec lui, le consolait, et sa présence comblait un peu le vide béant de son cœur. Il voulait le faire parler, mais que lui dire ? Comment lui expliquer ? C'était si invraisemblable qu'il allait sans doute le jeter, comme Kaito… Kaito… Son rejet lui faisait si mal, presque autant que la disparition de Yukio… Yuya savait bien que c'était le petit ange que Kaito avait aimé, pas lui, mais lui aussi s'était attaché à lui, et le voir le rejeter avec une telle force le confortait dans l'idée qu'il n'avait pas sa place dans cette vie…

« Il… Il a disparu… » Sa voix rauque d'avoir trop pleuré et mal assurée se fit enfin entendre. « Yukio… Il a disparu… Il m'a abandonné… Kaito aussi m'a abandonné… Comme je ne suis plus… lui… je n’existe plus pour lui… »

Les phrases décousues de son invité laissèrent Seishiro perplexe. Le jeune professeur ignorait totalement qui étaient ce Yukio et ce Kaito que Yu-kun venait de mentionner, comme il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il voulait dire par "je ne suis plus lui". Mais bien que l'histoire lui paraisse obscure, il trouvait très encourageant que son cadet commence à parler de lui.
Une nouvelle fois, il lui caressa les cheveux et lui sourit d'un air rassurant.

- Ecoute, je ne connais pas ce Yukio et ce Kaito dont tu parles, mais manifestement ce sont des personnes qu'il vaut mieux que n'aie plus dans ta vie, dit doucement Seishiro. Des gens qui te rejettent ou disparaissent sans laisser de trace alors que tu étais censé compter pour eux, qui peuvent te mettre dans cet état sont toxiques. Alors même si c'est très douloureux, il vaut mieux les oublier. Te tourner vers l'avenir est ce que tu as de mieux à faire, Yu-kun. De plus... tu n'es plus seul. Je ne te connais pas, mais tu pourrais être mon petit frère, alors je ne t'abandonnerais pas. Tant que tu auras besoin d'aide, je serais là pour te l'apporter.

Ne sachant pas quoi ajouter d'autre dans l'immédiat, il resta un moment silencieux, puis reprit la parole :

- Il faut que tu dormes un peu. Les choses paraissent souvent moins dramatiques après quelques heures de sommeil. Est ce que tu peux pousser mon fauteuil jusqu'à la chambre d'ami ? Je n'ai plus trop de forces dans les bras alors j'ai besoin de toi pour m'aider.

C'était bien sûr faux, mais l'enseignant avait l'impression que son jeune ami avait besoin de se sentir utile et désiré.

Yuya avait encore tellement mal d’avoir perdu son autre lui et se sentait encore tellement perdu dans cette réalité qu'il ne connaissait qu'à peine qu'il s'accrochait comme il pouvait à la présence de cet être pourtant inconnu, dont les gestes, la chaleur et les paroles l'apaisaient. Mais ses nouvelles paroles justement le firent réagir autrement. Toxiques ? Yukio ? Il ferait mieux de les oublier ? Qu'ils ne soient plus dans sa vie ? Mais comment pouvait-il dire ça ? Yukio était lui… Il était sa vie… Il avait tellement mal sans lui… Il se redressa, regardant l'homme, presque choqué.

« Comment peux-tu… ? Yukio n'est pas toxique… Il est moi… ou il l'était… » Yuya avait du mal à exprimer ce qu'il voulait dire, tant ses idées se bousculaient dans ses tête. « Il était moi depuis si longtemps… Je le protégeais ce petit ange… Et maintenant il a disparu, il m'a laissé… Et ça fait si mal… »

Ses mains se serrèrent sur sa poitrine, au niveau de son cœur, se recroquevillant sur lui-même, comme pour tenter de combler ce vide immense en lui. Après quelques instants, les nouvelles paroles de son hôte le firent de nouveau relever la tête. Son fauteuil ? Que voulait-il dire ? Son regard se posa sur la cage de fer montée sur roulettes.

« Tu es… handicapé ? » Demanda-t-il en écarquillant les yeux. « Que t'est-il arrivé ? Tu….. ne veux peut-être pas en parler… Gomen… »

Manifestement ses paroles de réconfort, même prononcées avec les meilleures intentions, avaient blessé l'interlocuteur de Seishiro ou du moins l'avaient de nouveau bouleversé et le jeune professeur se maudit de sa maladresse. Il n'aurait pas du utiliser ces mots là...

- Désolé, j'ai parlé sans rien savoir. Visiblement tu tiens énormément à ce Yukio même si je ne comprends pas trop pourquoi tu dis qu'il était toi... mais je... Ecoute, il va te falloir du temps pour tourner cette page de ta vie et je peux t'aider.

Un sourire indulgent fleurit sur ses lèvres en entendant la question de son invité. Il était presque sûr que jusqu'ici, il ne s'était rendu compte de rien et il venait d'en obtenir la preuve irréfutable. Mais ça n'avait pas d'importance, parce que le fait qu'il s'intéresse soudain à lui était bon signe.

- Pour le moment oui. J'ai eu un accident de voiture il y a quelques mois et ma moelle épinière a été comprimée. Je retrouverais l'usage de mes jambes un jour, mais il va falloir beaucoup de temps. Je fais de la rééducation mais ce sont des efforts très pénibles, qui me coûtent beaucoup et me fatiguent énormément. En général, après une séance, le lendemain, je ne suis pas capable d'assurer mes cours à l'université et je dois ensuite rattraper le temps perdu. Du coup, quand je ne suis pas en rééducation, je reste assis dans ce fauteuil roulant. Alors tu veux bien me pousser vers la chambre d'ami ? Je n'y arriverais pas sans ton aide.

Yuya savait bien que l'homme à côté de lui ne lui avait pas dit ça pour être méchant, ou plutôt il aurait dû le savoir, mais il était trop bouleversé pour arriver à réfléchir, ou même à penser. Il voulait retrouver Yukio, retrouver sa vie d'avant dans laquelle il veillait sur le petit ange. L’avoir perdu lui faisait si mal, mais surtout il avait si peur, se retrouver seul dans cette vie qu'il ne connaissait pas, qu'il ne voyait qu'à travers les yeux de Yukio était terriblement effrayant. Mais que répondre à cet homme ? Comment lui expliquer ? Alors qu'il ne comprenait pas que Yukio était tout pour lui.

Le fait qu'il ait changé de conversation permit à Yuya de ne pas sombrer encore plus, tant la situation de son hôte le surpris. Il était dans un fauteuil roulant… Et pourtant il semblait si autonome, si libre. Il ne semblait pas dévasté, ni même un peu désemparé, comme si son handicap était insignifiant. Un accident de voiture, il avait donc perdu l'usage de ses jambes soudainement . Comment avait-il réussi à le surmonter ?

« Tu… Tu crois que tu pourras remarcher… un jour ? » Yuya hésita un moment avant de poser les mains sur les poignées du fauteuil. Mais par où devait-il aller ?

S'il remarcherait un jour... Dans ses moments de découragement, quand il était au fond du trou et se sentait seul, il arrivait parfois à Seishiro de penser que jamais ça n'arriverait, qu'il était coincé dans ce fauteuil jusqu'à la fin de sa vie. Il faisait de son mieux pour rester positif, mais ses exercices de rééducation étaient très difficiles et il n'avait personne pour le soutenir car il avait soigneusement caché son état à toute sa famille pour éviter de les inquiéter et il n'avait plus eu de petit ami depuis si longtemps qu'il ne se souvenait même pas de quand datait sa dernière relation. D'ailleurs, quel genre de petit ami serait un homme dans sa situation ? Les fauteuils roulants faisaient fuir les autres comme s'il s'agissait d'une maladie, quand ils ne le regardaient pas avec pitié. Et le jeune professeur refusait d'être un objet de pitié, alors il restait seul. Désespérément seul.

- Et bien j'espère, finit-il par répondre. Je fais tout pour, mais... c'est très difficile et je n'ai personne pour m'encourager dans mes efforts alors ce n'est pas évident. Mais je m'accroche. Après tout je n'ai que 28 ans. Si j'abandonne déjà, comment se passera ma vie dans l'avenir ?

Se retournant vers son jeune interlocuteur depuis son fauteuil, il lui sourit, puis constatant qu'il s'était saisi des poignées du fauteuil, lui indiqua :

- La chambre d'ami est juste en face. Quand on y sera, tu trouveras un futon dans le placard de gauche. Je te l'aurais bien installé moi-même, mais quand on est en fauteuil, ce qui se trouve à ras de terre est compliqué à atteindre.

Le locataire des lieux mit un moment à répondre, Yuya se demanda s'il n'avait pas posé une question qu'il ne fallait pas. Pourtant il avait l'air d'être si indépendant et apaisé que son handicap semblait ne même pas le gêner. Mais ses paroles trahissaient cette apparente sérénité. Il disait s'accrocher, tout faire pour parvenir à remarcher. Ca devait être vraiment difficile, surtout vu la solitude qui transparaissait à travers ses paroles. Comment se faisait-il qu'il n'avait personne pour l'aider ou le soutenir ? Etait-il seul au monde comme l'était Yuya à présent que Yukio avait disparu ?

« Tu… Tu n'as personne ? Et ta famille ? Ca doit être dur… »

Yuya suivit alors l'indication de son hôte pour rejoindre la chambre d'ami, une chambre où il allait se retrouver seul, seul avec lui-même et l'immense vide en lui qui semblait vouloir l'engloutir. La présence du jeune homme avait un peu apaisé sa douleur et son angoisse, mais s'il se retrouvait seul, il allait de nouveau sombrer. Il approcha du placard pour sortir le futon, mais la pensée de se retrouver seul le paniqua et il leva vers son hôte un regard larmoyant et terrorisé.

« Me… Me laisse pas seul… Je… Je peux pas… » Une larme s'échappa de ses yeux pour couler sur sa joue

Un léger sourire fleurit sur les lèvres du jeune professeur.

- Si, j'ai mes parents, deux petits frères et quatre petites sœurs... mais aucun ne sait pour mon accident. Je ne voulais pas les inquiéter, donc je n'ai rien dis à personne, ils ont bien assez de soucis comme ça. Mais... oui, j'avoue que parfois c'est dur d'être seul, de n'avoir personne pour m'encourager dans mes efforts et me dire que je retrouverais l'usage de mes jambes si j'y mets toute ma volonté.

Il y eut un léger blanc pendant lequel Seishiro observa son invité installer le futon, puis son cœur sembla se briser en l'entendant le supplier de rester près de lui.

- D'accord Yu-kun, accepta-t-il aussitôt en le prenant dans ses bras pour lui caresser tendrement les cheveux. Mais on va aller dans ma chambre alors. L'un des inconvénients de mon état est que je ne peux pas dormir dans un futon, il faut que ce soit dans un lit. Heureusement le mien est plutôt grand.

Il guida donc son cadet vers sa chambre et lui demanda d'ouvrir la couette, puis de s'allonger dessous pendant qu'il sortait du fauteuil. C'était toujours le même schéma d'ailleurs : il approcha l'engin du lit au maximum, puis releva les accoudoirs et poussa sur ses bras pour transférer le haut de son corps de l'appareil au lit, enfin il s'aida de ses bras pour soulever ses jambes immobiles et les allonger. Ceci fait, il se détendit et reprit son petit compagnon dans ses bras avant de refermer la couette sur eux deux.

- Dors maintenant, Yu-kun. Tu en as besoin. On verra le reste dans quelques heures.

Ainsi son hôte avait une grande famille, avoir tant de frères et sœurs Yuya se demandais comment ça pouvait être. Lui n'avait plus de famille, sa vraie famille avait été éliminée et sa nouvelle famille avait pour fils Yukio, pas lui… Avait-il à présent une famille ? Pour son hôte, il trouvait ça dommage qu'il n'en ait pas parlé à sa famille, ça devait être vraiment difficile.

« Tu devrais leur dire… Toi tu aurais leur soutien… Et ils voudraient sans doute le savoir. Enfin peut-être que je me trompe… » Qu'en savait-il pour oser lui donner des conseils sur sa façon d'agir avec sa famille, lui qui ne savait même pas comment simplement vivre dans ce monde.

D'ailleurs ce manque d'expérience de la vie augmentait encore sa panique de se retrouver seul dans ce monde inconnu. Son hôte l'accueillit de nouveau dans ses bras, Yuya s'y précipita et s'accrocha à lui de toutes les faibles forces qui lui restaient. Il était comme sa bouée de sauvetage qui l'empêchait de couler, une lumière au milieu des ténèbres. Il se laissa guider vers l'autre chambre et fit ce que son hôte lui dit, il écarta la couette et s'installa sur le lit. Déjà le vide de son cœur semblait vouloir de nouveau l'engloutir alors qu’il ne s'était écarté de lui que depuis quelques secondes. Il l'observa se déplacer avec difficulté du fauteuil au lit, alors que ses larmes débordaient de nouveau et que l'angoisse l'étreignait.

A peine fut-il installé sur le lit que Yuya se blottit de nouveau contre lui s'accrochant férocement à lui, il ne voulait plus être seul. Ses mains et le reste de son corps tremblaient, mais la chaleur et la douceur de l'autre homme parvinrent à le calmer peu à peu. Il finit par s'endormir en murmurant tristement le nom de Yukio.

Seishiro vit son jeune compagnon s'accrocher à lui avec le désespoir de quelqu'un qui estime être avec son sa seule bouée de sauvetage et le jeune professeur sentit tout son corps frêle trembler contre le sien. Il semblait tellement désemparé, tellement seul et fragile... Le jeune homme n'avait qu'une envie : le protéger. Après un moment, il le sentit se détendre et comprit qu'il sombrait lentement dans le sommeil. Lorsqu'il fut endormi pour de bon, l'aîné passa de longues minutes à l'observer en détails à la lumière de sa lampe de chevet : son visage avait des traits fins, des yeux frangés de longs cils qui jetaient une ombre pâle sur ses joues veloutées, un teint sans défaut, des cheveux décolorés en un blond doux... Il était vraiment très mignon et il avouait qu'il ne comprenait pas pourquoi ce Kaito qu'il avait mentionné l'avait abandonné s'il était vraiment son petit ami.
Il finit également par s'endormir après avoir pensé in extremis à mettre son réveil.

Lorsque celui-ci sonna, quelques heures plus tard, il faillit ne pas l'entendre tellement il dormait bien. Se redressant dans un vague grognement, il bâilla et s'étira longuement, puis observa son invité qui dormait toujours paisiblement. Ca lui brisait le coeur, mais il allait devoir le réveiller pour lui demander ce qu'il voulait faire de sa journée. Avec autant de douceur que possible, il le secoua.

- Yu-kun... Je suis désolé de te réveiller mais il faut que je me prépare pour aller à l'université. Est ce que tu veux rester ici à te reposer ou m'accompagner ?

Yuya eut le sommeil agité, ponctué de cauchemars, mais ils semblaient disparaitre bien plus vite qu'habituellement, une douce lumière écartant les ténèbres qui voulaient l'engloutir. Inconsciemment dans son sommeil, il s'accrochait désespérément à cette lumière, cette chaleur qui comblait un tant soi peu le vide de son cœur. Ca se traduisait par un corps blottit contre celui du jeune professeur, une main férocement agrippée à son vêtement de nuit. Plusieurs fois pendant la nuit, il prononça les noms de Yukio et de Kaito, les yeux pleins de larmes, avant que la chaleur de Sei ne le calme.

Lorsque le jeune homme le réveilla, Yuya ouvrit les yeux difficilement, se demandant où il était. Instinctivement, il se serra contre la source de chaleur près de lui, avant de sursauter en entendant la voix. Un air effrayé et suppliant prit alors place sur son visage. Rester seul ici ? Non, non, impossible, il ne se sentait pas près à se retrouver seul après tout ça. Mais aller à l'université avec lui ? Que ferait-il là-bas ? Et pourquoi l'autre homme devait y aller ? Peut-être lui avait-il déjà dit mais il ne se rappelait de rien.

« Me laisse pas seul… » Fut la seule chose qu'il'fut capable de lui répondre.

Pour être tout à fait honnête, lorsque Seishiro avait formulé sa proposition, il était presque certain de la réponse que lui fournirait son invité. Etant donné son état émotionnel et la façon dont il s'accrochait à lui depuis qu'il l'avait trouvé, il état évident qu'il ne pouvait pas rester seul.

- Très bien, dans ce cas, je vais aller prendre une douche. Ca va être un peu long parce que depuis le fauteuil tout prend plus de temps, mais ensuite tu pourras prendre la salle de bain. En attendant, sers-toi dans le frigo pour le petit déjeuner. Il faut absolument que tu mange, d'accord ? On part dans une heure.

Sur ces mots, le jeune professeur transféra de nouveau son poids sur le fauteuil en forçant sur ses avant-bras et remit ses jambes dans l'alignement, puis abaissa les accoudoirs et se propulsa hors de la pièce. Une demie heure plus tard, il fit sa réapparition habillé d'un jean, d'un pull à coll roulé blanc, d'une veste sport beige et de chaussures de villes noires. Ses cheveux humides lui donnaient l'air plus jeune.

- Tu as mangé j'espère ? dit-il en se propulsant vers la cafetière pour se verser une tasse de café.