Miam une friandise

Après le départ de son jumeau, Koya se leva et alla ouvrir son armoire pour y chercher la tenue idéale pour son rendez-vous. Il n'était pas aussi fashion victim que Kaito, mais il faisait tout de même très attention à son apparence, point crucial lorsqu'il partait en chasse puisque, contrairement au dicton qui disait que l'habit ne faisait pas le moine, le jeune homme savait d'expérience que l'apparence était ce qui était déterminant dans une relation. Surtout dans une relation sans lendemain comme celles qu'il affectionnait. Ne trouvant pas son bonheur dans sa propre garde-robe, il décida d'aller piocher dans celle de son jumeau, beaucoup plus fournie. Son choix fait, il alla prendre une longue douche bien chaude, puis mit ses lentilles, se coiffa et alla s'habiller.

Il sortit ensuite en direction du quartier commerçant où il devait retrouver le (probable) trentenaire qui l'avait abordé la veille. Mais plus il s'y dirigeait, moins il avait réellement envie de le retrouver. Cet homme n'était pas vraiment son genre. Lui, son style, c'était plus les garçons chétifs, les mignons, les estropiés de la vie… Bref ceux avec lesquels il pouvait jouer autant qu'il en avait envie et sans le moindre risque. Car il n'était pas fou non plus, il ne s'attaquait pas aux grosses prises qui pourraient mal réagir au moment où il les larguait sans état d'âme. Jusqu'ici, il avait toujours bien choisi et n'avait donc jamais eu de problème. D'ailleurs, jusqu'ici, aucune de ses cibles ne l'avait jamais repoussé et, devenues ses jouets, aucun n'avait non plus eu la force morale de protester lorsque, lassé, il les avait abandonnés sans se retourner, déjà tourné vers une nouvelle cible. Du coup, il ne savait pas pourquoi il avait accepté de sortir avec ce rabatteur de club, qui ne rentrait dans absolument aucun de ses critères et serait même parfaitement capable de le frapper s'il décidait de l'abandonner. Un coup de folie ? Une envie de changement ? De la lassitude pour ses cibles habituelles ? Un peu des trois ? Koya n'en savait rien mais au final, il n'avait plus la moindre envie d'aller le voir. Il poussa un soupir et changea de direction pour éviter le quartier des clubs.

Il finit par arriver au quartier commercial, dans lequel il entra. Après avoir tourné quelques instants, il avisa un attroupement. Intrigué, il s'approcha et manœuvra habilement pour se retrouver au premier rang afin d'observer ce qui retenait ainsi l'attention de tous ces gens… et il découvrit avec stupeur qu'il s'agissait d'un jeune homme plutôt sale et pas franchement bien habiller, qui dansait en pleine rue avec beaucoup de grâce et d'agilité. Intrigué et n'ayant finalement rien de mieux à faire, il décida de rester pour regarder la représentation.

Kyoto… Une nouvelle ville pour une nouvelle vie… Si seulement ça pouvait être vrai. Nao n'était arrivé ici que depuis quelques jours, mais les débuts étaient difficiles. La petite somme d'argent que lui avaient donnée les aimables personnes qui l'avaient conduit ici ne représentait qu'un maigre pécule, mais il l’économisant au maximum. Ca lui permettait au moins de manger un peu plus à sa faim qu'à certaines périodes quand il était encore à Tokyo. Il pensait bien qu'il n'allait pas trouver un travail à peine arrivé dans cette ville, mais il espérait tout de même avoir de la chance un jour. En attendant, la seule chose qu'il pouvait faire pour gagner un peu d'argent, c'était de trouver un coin de rue sympa, assez passant, et d'exercer son talent, s'il pouvait l’appeler ainsi.

Il profita pleinement de la douche à disposition au manga-café où il avait élu domicile. L'eau chaude réchauffant son corps et son cœur meurtri, lui faisant oublier un moment la dure réalité de la vie. Il dut malheureusement remettre ses vêtements usés et sales, n'ayant pas les moyens pour en avoir des neufs, ni pour les laver chaque jour. Cette petite bulle éphémère de douceur avait bien vite éclaté. Laissant ses quelques affaires à l'accueil du manga-café, les employés avaient la gentillesse de les garder en sûreté, il prit juste un petit sac avec le nécessaire, un petit poste cd à piles et quelques cds qu'il avait récupérés, et le voilà parti à la recherche d'un bon endroit.

Ne connaissant pas encore la ville, Nao erra un moment dans les rues, invisible parmi la foule des anonymes dans la grande ville. Il suivit le flot le plus important des passants, il devait y avoir un pôle d'attraction dans cette direction là. Il finit par arriver dans un quartier commerçant très animé, un endroit parfait pour s’installer. Un petit coin à part du flux principal lui sembla l'endroit parfait. Il posa son petit poste et ses affaires et s'étira un peu, histoire de chauffer un peu ses muscles. Il hésitait un peu, comment allaient réagir les passants ? Et s'il se faisait de nouveau expulser ? Il espérait qu'il n'y ait pas de policiers dans le coin.

Un grand soupir et il se lança. La musique commença, douce d'abord, puis plus rapide. Son corps commença à bouger au rythme de la musique, langoureusement ou plus rapidement, essayant de faire abstraction des regards plus ou moins pervers qui commençaient à se poser sur lui. Autours de lui, des passants s'arrêtaient et commencèrent à le regarder. Un attroupement était à présent sur cette petite place, autours de lui, alors qu'il se mouvait au rythme entrainant de la musique.

Dès les premiers mouvements du danseur, Koya se retrouva comme hypnotisé. Une telle grâce, une telle souplesse en émanait qu'il était presque impossible pour le spectateur de ne pas l'observer avec admiration, avec envie même. Mais pas une envie physique comme il en éprouvait sans arrêt lui-même, plutôt une envie psychologique de bénéficier des mêmes facultés. Lui, il était excellent dans tout ce qui touchait la musique (il jouait du violon depuis l'enfance et donnait régulièrement des récitals, mais il savait également jouer du piano et du saxophone), mais en revanche il n'avait pas la moindre coordination. Danser ? Lui ? Une impossibilité totale. Il était le genre de gars qui s'emmêle les pieds sans arrêt, marche sur ceux des autres sans le faire exprès, les bouscule et fait tomber tout le monde. Kaito avait l'habitude de lui dire qu'il ne comprenait pas comment il pouvait allier une telle maladresse à son adresse manuelle avec son violon. Il le surnommait "l'énigme". Et en voyant évoluer le jeune homme devant lui, il prenait encore plus conscience de ses failles à ce niveau.
Mais bien vite, ses pensées s'écartèrent de ses défauts pour détailler le garçon : plutôt grand, semblant plutôt bien bâti, un visage à damned un saint… Il sentit alors une intense chaleur qu'il ne pouvait que reconnaitre monter au creux de ses reins. Ca faisait maintenant quatre jours qu'il n'avait plus eu personne dans son lit. Un vrai record. Il s'était lassé de son dernier jouet en moins de temps que d'habitude. Il avait fini par le trouver trop fin, trop mièvre, trop pleurnichard, trop collant… bref beaucoup trop de trop, sans compter qu'une fois encore, son amant n'était pas Sora. Cet attachement avait donc fini par lui peser et il s'était débarrassé de la relation sans le moindre état d'âme, l'abandonnant en pleurs sans se retourner. C'était donc quatre jours auparavant. Et il devait bien avouer qu'il était en manque. Quand on était habitué à changer de partenaire de façon extrêmement régulière, s'en retrouver brutalement sevré était… plutôt inconfortable. Et le jeune homme qu'il regardait danser, bien qu'il soit habillé de façon… d'aucune façon en fait, serait un parfait en-cas. Voire peut-être un peu plus. Il attendit que la musique s'arrête, pour déposer dans sa corbeille un billet de dix mille yens. C'était une sacrée somme pour lui, mais il était prêt à ça si ça pouvait le rapprocher du jeune homme.

Danser était une des seules choses pour lesquels Nao était vraiment doué, depuis même son ancienne vie. Mais alors, il n'exerçait son art qu'en boite ou en soirée pour pécho des gonzesses en chaleur ou des mecs en manque. Il aimait beaucoup bouger ainsi au son de la musique, mais à l'époque, pour le fils héritier d'un grand empire industriel international, ça ne pouvait être qu'un  hobby, et en bon petit coq imbu de lui-même, il ne le voyait pas autrement. Mais à présent la danse était devenue pour lui un moyen de survie, car trouver un travail qui ne soit pas dégradant lorsqu'on vivait dans la rue n'était pas chose aisée. Alors maintenant, il dansait, pour récupérer les quelques pièces qui lui permettait de se nourrir et de dormir au chaud au manga-café.

Alors en ce moment il dansait. Il avait bien conscience que danser dans la rue n'était pas l'idéal, le son était mauvais, le sol était loin d'un parquet de salle de danse ou de boite de nuit, ses chaussures pas confortable, ses vêtements des fripes horribles et sales. Mais il n'avait rien d'autre, alors il passait outre tous ces détails et il dansait. Il entendait par moment le tintement des pièces qui tombaient dans sa corbeille, ça le motivait pour mettre encore plus de cœur à l'ouvrage. Mais soudain, un frisson lui  parcourut l'échine. Il sentait comme un regard de prédateur sur lui. Il fut perturbé un moment, manquant de trébucher, mais se reprit en essayant de faire abstraction de ce regard.

Une fois la musique finie, Nao s'inclina pour remercier ses spectateurs. Alors qu’il allait ramasser sa corbeille, il vit une main déposer un billet de dix-mille yens dedans. Sursautant de surprise, il releva la tête pour regarder le jeune homme qui lui avait déposé le billet, un beau jeune homme. Se relevant brusquement, le danseur s'inclina fortement, les joues soudain rouges, jamais personne ne lui avait donné autant pour une simple danse.

« Je… Je… Merci beaucoup… C'est.. Merci… »

Un sourire enchanteur fleurit sur les lèvres de Koya, dédié à l'inconnu. Ce sourire qu'il adoptait toujours quand il voulait harponner une proie qu'il venait de repérer. Ce qui était le cas car le danseur, malgré des vêtements plus que douteux qui criaient sa situation précaire bien plus que le fait qu'il danse dans la rue pour quelques pièces, avait un très beau visage. Ce qui lui suffisait pour devenir son nouveau jouet. Il attendit que les badauds assemblés se dispersent, puis aborda franchement sa victime.

- Je t'en prie, ne me remercie pas pour ça, lui dit-il de son ton le plus aimable sans cesser de sourire. Tu es très bon. J'aimerais avoir ton agilité, ta souplesse et ton sens du rythme malheureusement, sorti de mes livres je ne suis pas bon en grand chose. Je m'appelle Koya et toi ? Tu dois avoir faim à t'agiter comme ça, je t'offre quelque chose à manger et à boire ?

Le jeune homme gagnait heureusement assez d'argent avec ses fréquents récitals pour se permettre ce genre d'extravagances bien qu'il n'ait encore jamais utilisé de billet de dix mille yens de cette façon et encore moins pour un futur jouet. Mais ça en valait la peine car il était presque certain que celui qui lui faisait face était très bien bâti et qu'il serait donc un jouet parfait. Très différent de ses autres proies qu'il choisissait toujours frêles,  faibles et en détresse, mais parfait sur d'autres points. Et puis en ce qui concernait la détresse, il ne devait pas en être bien loin, ce qui l'arrangeait bien. Un homme en détresse était tellement plus facile a manipuler, c'était un vrai jeu d'enfant. Du moins tant que le jeu et/ou le jouet l'amusait. Une fois qu'il était lassé, c'était trop tard et rien ne pouvait le retenir près de sa victime.

Nao était troublé. Pourquoi un jeune homme tel que lui s'adressait à lui ainsi, avec un tel sourire ? En général ceux qui l'abordaient avaient un sourire de pitié ou de prédateur pervers, ceux qui n'étaient pas d'une de ces deux catégories étaient rares. Mais lui semblait différent et Nao ne comprenait pas pourquoi. Alors qu'il remerciait les autres badauds qui s'étaient arrêtés pour le voir, et qui maintenant s'éloignait, il sentait toujours ce regard sur lui, si intense. Pourtant lorsqu’il se tourna de nouveau vers l'inconnu, qui ne s'était pas éloigné comme les autres, son sourire semblait ne pas aller avec ce regard prédateur qu'il avait senti sur lui. Etait-ce vraiment lui ?

« Je… Merci… » répondit-t-il en rougissant, peu habitué aux compliments, avant de reprendre, hésitant. « Je m'appelle… Nao… » Oui, il était Nao à présent… Niko n'existait plus depuis la fin de son ancienne vie. « Ca va aller, je vous remercie… Vous m'avez déjà donné beaucoup… » Accepter une telle offre le mettait mal à l'aise. « Je… n'ai pas faim pour l'inst… » Comme pour le contredire, son estomac se mit à gronder fortement, le faisant rougir encore plus et le coupant dans ses paroles. « Désolé… »

Il détourna le regard, sentant la honte le gagner, il devait lui sembler bien pathétique. Lui qui avant était si sûr de lui, imbu de sa personne, régnait en maitre sur son petit monde et ses larbins, n'osait plus à présent regarder ses interlocuteurs dans les yeux, ni même leur adresser la parole, tant la honte qu'il ressentait d'être devenu ce « sous-homme » était grande. Même s'il s'était détourné, il sentait le regard de l'autre sur lui, le rendant de plus en plus mal à l'aise.

Ah oui, passer par son estomac était aussi, un excellent moyen de harponner le beau poisson bien sale visé par Koya, donc sa proposition était, comme tout le reste, parfaitement intentionnelle et totalement intéressée.

- Tu dois avoir aussi besoin de te laver. Viens chez moi te rafraîchir, ça te fera du bien après avoir dansé, dit-il encore sans cesser de sourire. Si aller dans un restaurant t'embarrasse, je peux parfaitement cuisiner quelque chose. Tu meurs de faim, je l'entends bien, alors je t'en prie, ne refuse pas.

Pour appuyer ses paroles, il prit la main de son interlocuteur (une grande main bien ferme) et la couvrit de sa seconde tout en le fixant de son air le plus sincère et sans perdre son sourire. Que son poisson se débarrasse de sa crasse lui ferait également prendre la mesure exacte de ce qu'il avait à offrir physiquement. Et quelque chose lui disait qu'il ne serait pas déçu du résultat final.

- Je ne te demande rien en échange si c'est ce qui t'inquiète, alors viens.

Du moins... il ne le lui demandait encore rien pour le moment.

Le regard de ce jeune homme le troublait au maximum. Depuis tellement longtemps, personne ne l'avait regardé ainsi, et ça le mettait extrêmement mal à l'aise. Il semblait être quelqu'un de gentil qui voulait juste l'aider, mais il avait bien vu passer dans son regard une lueur prédatrice, enfin il lui semblait. Et s'il était comme ceux qui avaient juste voulu profiter de lui, de son corps, le souiller encore plus qu'il ne l'était déjà ? Mais en même temps il voulait espérer qu'il ne lui voulait que du bien, croire en une lueur de bonté dans cette humanité.

« J'ai… j'ai pu me laver… Au manga-café… » Répondit-il d'une petite voix hésitante, gêné que les autres autours puissent les entendre aussi. « Chez vous ? Mais… Je… » Il n'osait pas accepter, mais il n'osait pas refuser non plus. Il ne savait pas quoi faire… Et l'idée d'une douche chaude et d'un bon repas était séduisante. « Mais… j'ai l'habitude… d'avoir… faim… ça ira… »

Le contact de la main du jeune homme sur la sienne le fit sursauter. Ça faisait tellement longtemps que plus personne ne l'avait touché, les gens avaient habituellement peur de lui, que sa misère les contamine. Alors qu'il le touche ainsi, c'était… troublant. Il ne su que répondre autre que baisser les yeux, sans oser retirer sa main.

Koya vit bien les deux tentatives de sa proie pour lui échapper et il semblait têtu, mais lui-même l'était plus encore et surtout, quand il avait une proie dans son viseur, il n'abandonnait jamais avant de l'avoir obtenue. Sa patience et sa ténacité étaient ses meilleures armes, le jeune homme le savait parfaitement, mais il savait également que son visage couplé à son sourire angélique en avait fait plier de plus récalcitrant que son petit poisson du jour.

- On ne peut pas s'habituer à avoir faim, reprit-il doucement sans cesser de sourire ni lâcher sa main. Ni à être sale. Je suis sûr que tu voudrais retrouver un peu de fierté en revenant danser propre et l'estomac plein, alors pourquoi refuser ce que je t'offre de bon cœur ? Viens avec moi, je prendrais soin de toi, je te le promets.

Ah ses promesses... En règle générale, elles étaient comme des promesses d'hommes politiques : fausses et jamais tenues. Mais en ce qui concernait sa nouvelle proie, il allait être obligé d'en tenir au moins quelques unes s'il voulait le ferrer.

Nao se sentait de plus en plus mal à l'aise. Sa main était toujours prisonnière de celle de jeune homme, et autours d'eux les badauds en allaient tous de leurs commentaires, de plus en plus désobligeants. Il n'avait plus qu'une envie, aller se terrer dans un coin , loin de tous, loin de cette honte qui le consumait. Il jetait alors des petits regards apeurés autours de lui, en évitant soigneusement celui du jeune homme.

Les paroles du jeune homme étaient exactement celles qu'il avait en tête, ce qu'il aurait osé espérer s'il n'était pas ce qu'il était à présent, un être sans intérêt qui dérange les gens biens pensants, qui fait tâche dans le paysage urbain. Alors pourquoi n'acceptait-il pas ? Il n'osait pas…

« Je… je… Pourquoi ? »

Sa main tremblait dans celle du jeune homme, alors qu'il était paralysé par l'hésitation.

- Parce que je n'aime pas voir les gens souffrir, tout simplement, dit-il dans un adorable sourire. Surtout quand je peux faire quelque chose pour les aider au moins un peu. Allez viens.

Comme son actuel compagnon ne bougeait pas, Koya comprit que la réserve, la méfiance ou peut-être l'instinct de conservation empêchaient le dénommé Nao de le suivre et ne vit alors plus qu'une solution : il s'accrocha plus fermement à sa main qu'il n'avait pas lâchée, se pencha pour attraper, avec son autre main, les affaires du danseur et l'entraîna à sa suite. De force mais quand même avec une certaine douceur car il ne voulait pas effrayer sa proie mais au contraire la mettre en confiance.

- J'habite tout près, lui indiqua-t-il gentiment. Comme ça tu pourras repartir danser sans souci après si tu veux.

En s'assurant que son actuel compagnon ne trébuchait pas en le suivant, il refit en sens inverse le chemin qu'il avait emprunté à peine une demie heure plus tôt et tous deux arrivèrent rapidement à l'appartement qu'il occupait avec son frère. Lâchant brièvement son interlocuteur, il ouvrit la porte, se déchaussa, puis comme Nao ne faisait pas mine d'entrer, le poussa doucement en appuyant sur son dos avec ses deux mains à plat.

- Je ne vais pas te manger, pas la peine d'être aussi timide, dit-il en riant. Je ne suis pas cannibale. Attends-moi là une minute. Et ne te sauve pas, hein. Ca me ferait vraiment de la peine, ajouta-t-il en le regardant bien en face.

Il s'esquiva jusqu'à la salle de bain, le temps de sortir serviette de toilette, gant, gel douche et shampoing nécessaire au décrassage total de sa proie, puis revint près d'elle et reprit sa main pour l'entraîner jusqu'à la salle de bain.

- Je t'ai sorti tout ce qu'il faut et j'ai aussi posé des vêtements à moi. Il seront un peu courts pour toi vu que tu es un peu plus grand que moi, mais au moins ils sont propres. Prends ton temps dans la douche, je vais laver tes vêtements et préparer le repas pendant ce temps.

Il lui dédia de nouveau un doux sourire, puis s'esquiva une seconde fois, vers la cuisine cette fois.

Le jeune semblait vraiment sincère, ce qui perturbait vraiment Nao et l'empêchait de répondre ou de s'éloigner. Il savait pourtant dire non quand ça s'avérait nécessaire, mais cette fois il en était incapable. Et lorsque Koya lui tira sur la main pour l'emmener avec lui, il le suivit sans rechigner, ne pensant même pas à ses affaires que l'autre avait pensé à prendre. À priori, il n'habitait pas loin, alors Nao le suivit, la tête baissée, le regard fixé sur le sol. Il ne regardait même pas le chemin pour pouvoir revenir ensuite, retrouver le manga-café et ses affaires, dans une ville qu'il ne connaissait pas n'allait pas être une mince affaire.

Lorsque Koya lui lâcha la main, Nao releva la tête et observa l'endroit où il se trouvait. La porte d'un appartement que le jeune ouvrit. Ca devait être chez lui. Nao resta sur le pas de la porte, n'osant pas le franchir. Ca faisait si longtemps qu’il n'était pas entré dans un logement privé qu'il en était encore plus intimidé. En sentant les mains de Koya dans son dos qui le poussait vers l'intérieur, Nao ne résista pas et entra, restant dans l’entrée, n'osant pas salir cet appartement avec sa saleté. Koya s'éclipsa quelques minutes et le danseur hésita a s'enfuir, mais comme son bienfaiteur lui avait dit qu'il en serait peiné, il n'osa pas partir et enleva ses chaussures trouées.

Sa main de nouveau capturée, il suivit Koya jusque dans la salle de bain. Une vraie salle de bain, avec une vraie douche, des serviettes qui semblaient très moelleuses et douces, des produits de qualité bien supérieure à ceux qu'il utilisait habituellement, des habits propres et quasi neufs comparé aux siens. Nao était impressionné et attendit que koya sorte pour commencer à se déshabiller. Ses vêtements sales enlevés, posés en tas sur le carrelage, il se vit dans un miroir et ne se reconnu que difficilement. Des traces de saleté sur le corps, des cicatrices lui barrait la peau. Son corps dont il était si fier avant, qu'il entretenait minutieusement et qui lui permettait d'avoir de nombreuses conquêtes, était maintenant maigre et sans forme, si quelconque. Le danseur détourna le regard, ne supportant plus cette vue déplaisante.

Il entra alors dans la douche après avoir réglé la température de l'eau, se disant qu'il n'allait prendre qu'une petite douche rapide, pour ne pas user trop d'eau. Mais une fois sous l'eau, un soupire d'aise lui échappa, et il profita grandement de cette douche fort agréable. Il coupa enfin l'eau et sortit avant de se sécher. Il avait eu raison, la serviette était douce et moelleuse. Il s'habilla alors avec les vêtements de koya, en effet un peu courts, mais un peu trop larges pour son corps si maigre. Le t-shirt laissait son nombril à l'air et glissait sur son épaule, le pantalon tombait légèrement sur ses hanches.

Intimidé, le danseur sortit de la pièce, se demandant où il devait aller. Il entendit du bruit un peu plus loin et le suivit pour arriver dans la cuisine.

« Ano…. Je… j'ai fini… »

Tout en préparant ce qu'il fallait pour de reconstituantes yakisoba, l'esprit de Koya voguait derrière la porte de la salle de bain, vers le corps nu et ruisselant de sa nouvelle proie, qu'il supposait délicieux. Mais il faudrait qu'il reste calme lorsqu'il réapparaîtrait. Il devrait jouer les gentils garçons, doux et attentionnés pendant quelques temps, jusqu'à ce que la réserve et la timidité de Nao s'évanouissent, jusqu'à ce qu'il se mette à rechercher sa compagnie. Jusqu'à ce qu'il tombe amoureux de lui aussi désespérément que les autres. Alors il le dévorerait, jouant avec lui jusqu'à ce qu'il soit lassé. Mais il faudrait pas mal d'étapes intermédiaires avant d'en arriver là. Qu'importe, le jeune homme avait de la patience à revendre.
Revenant à sa préparation, il découpa soigneusement les légumes pendant que les nouilles cuisaient et fit également cuire les anneaux d'encornet, puis s'attaqua à la sauce qui engloberait le tout. Il en était à la goûter pour s'assurer qu'elle était conforme à ce qu'il faisait d'habitude, lorsque la voix hésitante de Nao s'éleva derrière lui.
Par réflexe, son regard le détailla, notant la couleur de ses cheveux et de sa peau débarrassés de leur crasse, le pantalon qui tombait sur ses hanches rendues trop minces par les privations et le t-shirt qui laissait son nombril à découvert, mais il s'arrangea pour que son regard semble naturel et ne s'attarde pas plus que nécessaire.

- Ah désolé, mes vêtements sont vraiment trop courts pour toi, mais les tiens seront bientôt propres.

Il ne fit aucune remarque sur leur état d'usure. Feindre de ne pas remarquer l'indigence de sa cible faisait également partie de sa stratégie de séduction.

- J'ai fais une grosse portion de yakisoba. Ce n'est pas très raffiné comme plat, mais ça tient au corps et je pense que c'est ce dont tu as besoin. J'espère que tu aimeras, je ne suis pas aussi doué en cuisine que mon jumeau ni que ma jumelle d'ailleurs. Assieds-toi à table, j'apporte ça tout de suite.

Il se détourna le temps de verser le tout dans un grand plat et de mélanger, puis apporta sur la table l'impressionnante quantité de nourriture, dont il servit une généreuse portion à son invité.

- N'hésite pas à te resservir si tu en as envie, Nao-kun, ajouta-t-il dans un nouveau sourire. Je mange assez peu et Kaito aussi.

Intimidé, Nao restait dans l'encadrement de la porte de la cuisine. Il se serait bien caché derrière le mur, mais ça aurait été bizarre. Le regard encore baissé vers le sol, le danseur se triturait les mains, ne sachant que faire. La bonne odeur de la nourriture lui parvenant jusqu'aux narines fit grogner bruyamment son estomac vide, le faisant rougir de honte. Lorsque Koya s'excusa pour les vêtements trop courts pour lui, il balaya ces excuses d'un geste, signifiant que c'était très bien comme ça . Il s'approcha alors de la table lorsqu'il l’y invita, s'installant sur un des sièges.

« Je… Je ne suis pas difficile… » Sa voix était hésitante et faible. « Ça doit être bon je suis sûr. »

En voyant apparaître l'immense plat de nouilles, Nao déglutit bruyamment. Des yakisoba… ça faisait tellement longtemps qu'il n'en avait pas mangés, et qu'il n'avait d'ailleurs pas vu autant de nourriture. Prenant avec hésitation les baguettes, il piocha dans son bol et goûta les nouilles qu'il trouva délicieuses. Ça le changeait tellement de ce qu'il trouvai habituellement pour survivre qu'un soupir de bien-être lui échappa.

Il avait commencé à manger doucement, ne voulant pas être inconvenant, mais son estomac réclamant à corps et à cri de la nourriture, il se mit à manger plus vite, se goinfrant presque… Avant de presque s'étouffer en avalant trop vite. Il se mit à tousser en essayant de retrouver l'air qui lui manquait.

« Go… Gomen… »

- Ne t'excuse pas, ça n'a vraiment aucune importance et je comprends très bien. Je pense que si j'étais à ta place, moi aussi je me jetterais sur la nourriture. C'est normal et c'est humain. Fais juste attention à ne pas te rendre malade, je ne suis pas encore médecin, ajouta-t-il en riant. Pendant que tu mange, je vais te parler un peu de moi, pour qu tu n'aie plus l'impression de parler avec un total inconnu. Je m'appelle Konami Koya, j'aurais 21 ans cette année et j'ai commencé mes études à la fac de médecine en sortant du lycée il y a presque 3 ans. J'ai donc encore 4 ans devant moi avant d'en avoir terminé. Ce sont des études extrêmement chères mais comme je fais des récitals de violon depuis mes 6 ans, je gagne moi-même de quoi les payer, ainsi que le loyer de cet appartement. (il s'interrompit comme s'il cherchait quoi ajouter à son propos, puis repris) Comme je l'ai déjà mentionné, je fais partie d'une triplée : il y a mon frère Kaito qui est l'aîné des trois et ma sœur Kanon qui est la plus jeune. Nous avons aussi un... un frère aîné (sa voix se mit à vaguement trembler en le mentionnant). Parfois il m'arrive d'avoir un peu de temps libre entre toutes mes activités, alors je me ballade pas mal dans le quartier, c'est comme ça que j'ai fini par tomber sur toi.

Il s'arrêta de parler et observa sa proie : malgré son visage émacié par les privations, il était vraiment très beau. Pas le genre qu'il affectionnait d'habitude, mais très à son goût malgré tout. Il n'allait donc en effet pas le lâcher de si tôt. Par contre, il aimerait bien réussir à lui faire dire un peu plus que la petite dizaine de mots qui lui avaient échappé depuis tout à l'heure.

- Tu peux me regarder tu sais, je ne vais pas te manger, ajouta-t-il dans un doux sourire, en passant une main sous le menton de son interlocuteur pour lui faire lever la tête vers lui. A moins que je sois tellement laid que ma vue t'es insoutenable, dit-il encore en riant.

Honteux, Nao n'osait plus manger, malgré les paroles rassurantes de son hôte. Etait-il tombé si bas qu'il ne savait même plus manger ? Il était pathétique. La tête baissée, les mains tremblantes, Nao se sentait vraiment misérable face à ce jeune homme qui était si gentil avec lui. Cette gentillesse dont il n'avait pas l'habitude le troublait et il ne savait comment réagir. Le danseur écouta avec attention ce que lui disait le jeune homme, même s'il n'osait toujours pas le regarder. Sa main tenant les baguettes se rapprocha du bol mais tremblait trop pour qu'il arrive à prendre de la nourriture.

Koya Konami… Ce jeune homme voulait devenir médecin, comme lui lorsqu'il pouvait encore aller à l'école, mais lui avait voulu faire ça sur un coup de tête, après avoir regardé un drama. Quel imbécile il avait pu être à cette époque… S'il avait été moins con, peut-être n'en serait-il pas à ce point actuellement. Il était aussi un musicien reconnu, et ça c'était formidable. Ce garçon avait toutes les qualités pour être quelqu'un de bien, alors que lui à côté…

Sentir la main de son hôte sous son menton le fit sursauter et il plongea dans ses yeux un regard apeuré, mais cette peur s'estompa peu à peu et sa voix hésitante se fit entendre.

« N… Non vous n'êtes pas laid… Je… Vous êtes même plutôt… beau… »

Evidemment qu'il était beau. Ca, Koya le savait parfaitement. Lui, Kaito et Kanon avaient hérité de la beauté de leur mère et il devait bien avouer que tous trois s'en servaient sans aucune honte. Tous les trois parce qu'à ce qu'il savait, leur sœur était une femme fatale qui jetait les hommes comme des mouchoirs à usage unique. Un peu comme Kaito finalement.

- Ah bon, tu m'as fais peur l'espace d'une minute, dit-il en riant avant d'ajouter d'un ton désolé : Ta main tremble tellement, mon pauvre... On dirait que je te fais peur... Mais je ne te veux aucun mal, tu sais, dit-il en lui tapotant gentiment la tête.

Un peu ennuyé qu'il soit si maladroit même s'il ne le montra pas du tout, Koya décala sa chaise pour se rapprocher au maximum de son invité, lui prit doucement les baguettes des mains, attrapa avec une portion de yakisoba et approcha le tout de la bouche infiniment tentante de on vis à vis.

- Fais "aaaaaaaah", dit-il en plaisantant. Elles vont refroidir si tu ne mange pas, tu sais. Alors, parle-moi un peu de toi. Je viens de te résumer ma vie, donc à toi. Pour commencer, quel âge tu as ? A mon avis tu es un peu plus âgé que moi, mais je ne suis pas très doué pour donner un âge aux gens alors il vaut mieux que tu me le dise toi-même. Ensuite... hum... où est ce que tu as appris à si bien danser ?

Lui poser des questions sur lui amènerait peut-être son beau poisson à faire entendre un peu plus que les quelques bredouillements auxquels il avait droit depuis leur rencontre moins de deux heures plus tôt.

Son hôte avait-il vraiment mal pris le faite que Nao n'ose pas le regarder ? Avait-il réellement pensé que c'était parce qu'il le trouvait si laid ? L'avait-il offensé sans le vouloir ? Quelque peu choqué par sa propre bêtise , le rire du jeune homme calma un peu son angoisse naissante, bien qu'il se sente encore bien mal à l'aise.

« Vous… Vous ne me faites pas peur…. » Répondit-il d'une petite voix hésitante. « Je… C'est… Je n'ai pas l'habitude… C'est… » Ne sachant que dire de plus, il préféra se taire, sursautant légèrement au nouveau contact sur sa tête.

Son hôte se rapprocha de lui, plus qu'aucune autre personne n'avait été proche de lui depuis si longtemps, si proche qu'il en était vraiment troublé. Koya ayant pris ses baguettes, il se mit à triturer ses mains, signe d'angoisse. Il ouvrit pourtant la bouche pour manger ce que lui donna Koya, mais sans faire le fameux « aaaaaah ».

« Gomen… » Il avait raison… S'il gâchait son plat en le laissant refroidir alors qu'il l'avait préparé exprès pour lui. Alors pour se faire pardonner, il pouvait au moins répondre à ses questions. « Je vais bientôt avoir 25 ans… Pour la danse, j'ai… toujours été doué… Avant c'était un amusement… Maintenant ça me permet… de survivre… »

Avant… Tout ça était si loin à présent… Avant la danse lui servait à séduire tout ce qui lui passait sous les yeux, en plus de sa fortune bien sûr. Un soupir nostalgique lui échappa alors qu'il essayait de se reconcentrer sur les attentions de son hôte.

Aaaaaah des phrases à peu près complètes, enfin ! Misère, jamais Koya n'avait autant sorti les rames pour faire parler quelqu'un avec lui. En règle générale même, son abord facile et son visage avenant permettait au jeune homme d'obtenir immédiatement tous les renseignements dont il avait besoin. Ce Nao était différent à tout point de vue, c'était... un challenge ! Et rien ne plaisait plus à l'étudiant que de relever des défis.
Prenant l'air concerné et tout en continuant à lui donner la becquée puisqu'il tremblait trop pour se nourrir seul, il tapota gentiment le bras de son interlocuteur alors qu'il répondait à ses questions.

- Et... je suis désolé de te poser la question mais... qu'est ce qui a fait que tu te retrouve dans cette situation plus que précaire, sans domicile et à danser dans la rue pour vivre ? Tu n'es bien sûr pas obligé de répondre, je comprends que ça puisse être douloureux d'en parler, mais si je veux t'aider comme je le souhaite, comme je le souhaite vraiment, il faut que j'en sache davantage sur toi. S'il te plait, Nao-kun. Tu veux bien me raconter ta vie ? Hum ?

Il accompagna ses paroles de son ton le plus sincère et d'un regard aussi franc qu'il le pouvait. Oui, il devait tout savoir afin de pouvoir manipuler son nouveau jouet à sa guise, de l'avoir totalement à sa merci. La récolte d'informations faisait toujours partie de sa tactique.

Koya continuait de le faire manger. C'était une chose vraiment bizarre, mais il n'osait pas lui reprendre les baguettes. D'ailleurs ses mains tremblaient un peu trop encore pour s'en servir normalement. Il devait passer pour un imbécile, n'arrivant même pas à manger seul. Le nouveau contact sur son bras le fit encore presque sursauter, mais pas de peur cette fois. Cette gentillesse à laquelle il n'était pas habitué lui réchauffait le cœur et le troublait. Mais pourquoi lui ?

La question suivante le replongea une nouvelle fois dans son passé. Sa vie d'avant lui manquait par moment, surtout dans les moments les plus durs, mais il se disait aussi qu'elle aurait pu être mieux, s'il avait été moins con. Mais raconter sa vie à sin hôte ? Il n’en avait encore jamais parlé, d'ailleurs il n'avait jamais eu personne à qui en parler… Un air triste et douloureux se peignit sur ses trais alors qu'il commençait à parler, d'une voix chargée d’amertume.

« Mes parents ont tout perdu un jour, leur entreprise, leur maison, tout… Une arnaque de grande ampleur … Ils sont morts peu de temps après dans un accident… Je me suis retrouvé seul, sans rien, à la rue… Tous mes "amis" m'ont tourné le dos… Et depuis… Je survis… Dehors… »

Ses yeux s'embuèrent, mais il tenta de refouler ces émotions qui voulaient le submerger, il ne voulait plus pleurer pour ça…

Alors qu'enfin son invité se mettait à parler, racontant ses malheurs à son hôte avec une émotion très palpable, Koya, lui, exultait mentalement. Il avait tiré le jackpot sans le savoir avec ce garçon : non seulement son histoire était triste et pitoyable, mais elle le faisait très visiblement toujours souffrir, ce qui le plaçait dans une situation de détresse parfaite pour servir ses plans. Les proies faibles et psychologiquement blessées étaient ses préférées. Il n'allait plus le laisser fuir à présent qu'il lui avait mis la main dessus.

- Je suis désolé de t'avoir forcé à parler de tout ça, dit-il d'un ton contrit. Je ne pensais pas que tu... (il s'interrompit, faisant trembler sa voix comme s'il allait soudain se mettre à pleurer). Tu as du tellement souffrir... Je n'ose pas imaginer tout ce que tu as du subir depuis tout ça... Mais... si tu me laisse t'aider... les choses pourront... pourront peut-être s'arranger pour toi, Nao-kun, ajouta-t-il en faisant mine de s'essuyer les yeux.

Il devait sans tarder mettre à exécution la suite de son plan. Et pour cela, il devait le garder à portée de vue et il n'y avait pas trente-six possibilités pour en arriver là.

- Ecoute... je sais que c'est soudain, mais tu... tu dois avoir envie de te reposer dans un vrai lit. Reste ici au moins cette nuit, nous... aviserons quoi faire demain, d'accord ? S'il te plait, ne refuse pas. Maintenant que je te connais un peu, je ne pourrais pas supporter de t'imaginer en train de... dormir dans un manga-café... ou pire... à la merci de n'importe quel psychopathe...

Son hôte semblait vraiment se sentir concerné par son histoire, Nao trouvait ça tellement bizarre qu'une personne comme lui s'intéresse ainsi à un sous-homme comme celui qu'il était devenu, et qu'il veuille l'aider à ce point. Les souvenirs semblaient vouloir le submerger, en parler avait fait remonter cette douleur qu'il s'efforçait à garder enfouie. La tête baissée, il s'essuya rapidement les yeux. C'était du passé tout ça, sa vie passée n'existait plus.

Lorsque Koya lui proposa de dormir ici, Nao se sentit vraiment mal à l'aise. Il avait envie de partir, de retrouver l'habitude de sa vie miséreuse, plutôt que de commencer à s'habituer au confort d’une vie agréable pour retrouver la rudesse de la rue après. Mais il se disait aussi que quoi qu'il dise, il ne le laisserait pas partir. Avait-il alors le choix ? Et il devait aussi avouer que sentir que quelqu'un s'inquiétait pour lui, lui réchauffait le cœur.

« Je… je ne sais pas… Je… ne veux pas déranger… Ce n'est… pas si mal… le manga-café… » Pas mal… comparé à la rue oui, mais comparé à une vraie chambre, un vrai lit… Son argument ne tenait pas la route.

- Ne dis pas de bêtises. Si je te le propose, c'est que ça ne me dérange pas. Nous avons une chambre d'ami où tu seras tout à fait tranquille. (il prit sa main en le regardant bien en face d'un faux air triste stupéfiant de réalisme) Nao-kun, je ne veux pas que tu retourne dans la rue, c'est trop affreux... Je... Je ne supporterais pas que tu... (il s'interrompit comme si le dire lui était trop insupportable) S'il te plait, ne refuse pas. Reste ici, tu auras tout ce qu'il faut : un toit, à manger, à boire, tu ne seras plus obligé de danser à moins que tu y tiennes... S'il te plait, je t'en prie, au moins pour moi si ce n'est pour toi-même, tu ne peux pas continuer comme ça. Laisse-moi m'occuper de toi comme tu mérite qu'on s'occupe de toi et pas juste pour une journée...

Bon là, Koya poussait un peu loin pour une première journée, mais il sentait tellement que son beau poisson pouvait filer comme une anguille, qu'il préférait mettre le paquet dès le départ, quitte à ralentir la cadence ensuite.
Prenant sa main, il ne lui laissa pas d'autre choix que de lui suivre car, bien qu'il n'en ait pas l'air, le jeune homme était relativement musclé et comme en plus Nao avait du perdre pas mal de poids en vivant comme il le faisait, ce n'était pas bien compliqué. Il ouvrit une porte et entra avec lui dans la nouvelle pièce.

- Ce sera ta chambre, déclara-t-il en souriant. Le lit est très moelleux, alors tu dormiras bien.

Nao voulait trouver au moins un argument pour ne pas rester ici, il se sentait trop mal à l'aise face au plus jeune. Mais il se disait que tout ce qu'il pourrai avancer, son hôte le contrerait sans problème, lui expliquant pourquoi il devait rester ici. Cette gentillesse à son égard était si troublante, sa situation semblait tant le toucher, comme s'il avait mal pour lui… Cette situation était si inédite pour lui qu'il ne savait pas comment réagir, ni même comment refuser. Son refus mourut donc sur ses lèvres et il ne put que baisser la tête et se laisser guider à travers l'appartement jusqu'à ce qui semblait être une chambre.

Bien qu'il ne l'avouerait pas et qu'il faisait tout pour le cacher, il sentait la fatigue commencer à le submerger, surtout à la vue de ce lit qui semblait si attirant. Cependant, il n'osa même pas s'y asseoir, ni même lâcher la main de son bienfaiteur.

« Vous… vous êtes sûr ? M… Merci… »

Un léger baillement lui échappa, sans doute était-il plus fatigué qu’il ne le pensait.

Koya sentait bien que sa cible était sur le point de craquer, autant à cause de sa fatigue qu'à cause de la façon dont il lui présentait les choses depuis son entrée dans l'appartement, alors il décida de river le clou.

- Repose-toi, tu en as besoin, dit-il en le poussant doucement sur le lit pour qu'il s'asseye. Quand tu te réveilleras, on réfléchira ensemble à ce qui vas se passer à partir de maintenant. Je ne te laisserais pas retourner dans la rue. Jamais.

Pour que son beau poisson file et qu'il ne le revoit jamais ? Pas moyen.
Le jeune homme ferma les épais rideaux qui encadraient la fenêtre pour mettre la pièce dans une semi pénombre propice au sommeil, puis se tourna vers lui en souriant et sortit en refermant la porte.
Maintenant il fallait qu'il annonce à son frère qu'ils avaient un invité pour une durée indéterminée. Même si techniquement Kaito n'avait pas son mot à dire vu que c'était lui-même qui payait l'intégralité du loyer, son jumeau le prendrait vraiment mal s'il ne l'informait pas. Il décida donc de l'appeler en espérant qu'il décroche. S'il était avec son nouveau jouet, il était possible qu'il ne le fasse pas. Il laissa sonner plusieurs fois et, au moment où il allait abandonner, son frère décrocha.

<< - Ko' ? C'est rare que tu m'appelle. Qu'est ce qui se passe ? Une catastrophe ? >>
- Rien de grave, panique pas au moindre truc comme une donzelle. Je voulais juste t'informer qu'on a un invité pour une durée indéterminée.
<< - Hein ? Comment ça ? C'est qui ? Je le connais ? >>
- Non. Je l'ai rencontré aujourd'hui.
<<Oh non encore un de tes jouets... C'est quoi cette nouvelle lubie d'amener tes conquêtes à la maison ? Je suis pas d'accord, Ko', pas à la maison. >>
- Je te demandais pas ton avis en fait, je t'informais juste pour que tu sois pas surpris à ton retour.
<< Ah ouais super... Bah fais ce que tu veux vu que mon avis compte pas... >>
- Le prends pas comme ça...
<< Ciao >>

Kaito raccrocha brusquement et Koya soupira. Bon et bien au moins Nao allait pouvoir rester.