Plus rien n'a d'importance

En temps normal, en me voyant fuir comme ça, Aniki se serait précipité à ma poursuite, mais là je n'entends aucun bruit de pas. Il s'en fiche bien de moi maintenant que ce type est là, maintenant qu'il... qu'il... l'aime...
J'ai tellement mal au cœur... Mal que tout ce qui faisait ma vie depuis cinq ans vole soudain en éclats. Mal que mon Aniki, mon dieu totalement parfait... soit finalement un humain plein de défauts qui vient de tomber du très haut piédestal où mon admiration l'avait hissé. Mal que maintenant qu'il l'a lui, je n'ai plus d'importance pour lui. Si je n'en ai plus pour lui, pour qui mon existence en a encore ? Je n'avais de réalité qu'à travers les yeux d'Aniki. Je n'existait que parce qu'Aniki m'avait sauvé, qu'il me regardait, me parlait, s'occupait de moi. Et maintenant... je ne suis plus rien, je n'ai plus rien ni personne. Qui voudrait d'un gringalet chétif et maladif comme moi, incapable de faire quoi que ce soit ? Personne. Il n'y avait qu'Aniki. Il n'y avait qu'Aniki qui était mon seul horizon, mon seul espoir, ma seule motivation de vie.
Mes larmes m'aveuglent et ma poitrine me fait mal à force de courir, mais je ne m'arrête pas, je continue à aller tout droit sans savoir où je vais. Je heurte des gens mais je m'en fiche. Plus rien n'a d'importance.
A force de courir, j'arrive au fleuve et m'immobilise, les larmes dévalant toujours mes joues. J'observe le courant tranquille et les lumières des lampadaires qui se reflètent sur l'eau. Je ne manquerais à personne si je me noie... Ce serait si simple d'en finir avec cette douleur qui me broie de l'intérieur... J'ai juste à sauter puisque je ne sais pas nager... Oui, c'est le mieux. Personne ne pensera à Nishida Asahi, disparu de ce monde le jour de sa naissance.
Ma décision prise, je saute donc. Le froid de l'eau me coupe le souffle et par réflexe, j'inspire... du coup j'inspire de l'eau. Je vais mourir. Je vais mourir le jour de mon anniversaire.

Kyoto… Me voici arrivé à Kyoto… Ca ne fait que quelques jours que je suis arrivé ici alors je ne connais pas encore cette ville. Je suis arrivé ici pour le programme de l'école que j'ai intégré  et surtout la partie patinage artistique. Parce que, sans me vanter, mon niveau est plutôt bon, et si je veux avoir mes chances pour les compétitions nationales, il fallait que je vienne ici, avec les meilleurs entraîneurs du pays. Alors me voilà, et ce soir, je n'avais pas envie de rester enfermé dans le petit studio qu'ils m'ont prêté le temps de mon cursus scolaire, comme ils disent. Alors je déambule dans la rue, sans trop savoir où aller. J'aurais pu aller voir mon crétin de grand frère, oui parce qu'il habite par ici aussi, ce baka nii-chan, mais il n'est pas au courant que je suis arrivé ici, et je ne sais pas si j'ai envie de le voir. Pourtant avant nous étions très liés, il nous a même élevés moi et nos petits frères et sœurs, mais depuis deux ans pas une seule visite. Oh il y a bien eu des coups de fil, mais il n’a même pas pu trouver quelques heures ou quelques jours pour passer un peu de temps avec sa famille. Crétin de frangin. Alors non je n'irais pas le voir, pas maintenant en tout cas.

Alors que je déambule toujours sans trop savoir où aller, quelqu'un me bouscule violement, sans même s'excuser. Non mais oh ! Je me retourne pour lui dire tout le bien que je pense des types malpolis dans son genre, mais je vois qu'il s'agit d'un gosse qui semble frêle et fragile, en pleurs. Que lui est-il arrivé pour qu'il soit si triste ? Intrigué je le suis un peu et je le vois s'arrêter sur un pont peu après. Peut-être est-il fatigué ? Mais soudain je le vois sauter dans l'eau. Hein ? Mais il fait quoi ?

« Non mais il fait quoi ce con ? Il est malade ? »

Je m'approche de la rambarde et le cherche du regard. Je le vois en train de se débattre dans l'eau, il ne sait pas nager en plus ? Mais quel crétin ! Je jette un regard autours, mais bien sûr il n'y a personne. Et l'autre qui va se noyer si on ne fait rien. Pfff sérieux ? Je jette alors mon sac et mon blouson par terre, j'enlève mes chaussures, et je plonge près du mioche. Brrr mon dieu qu’elle est froide. Je me dépêche alors de nager vers l'autre imbécile et je l'attrape en lui gardant la tête hors de l'eau.

« Ne bouge pas sinon on va couler tous les deux ! »

Je nage alors difficilement vers la berge, l'entraînant avec moi. Heureusement par ici les berges sont assez accessibles, j'arrive alors assez facilement à sortir de l'eau, mais un peu moins facilement à sortir l'autre gosse, mais quelques passants qui nous ont remarqués m'aident à le sortir. Une fois sur la terre ferme, je ne peux pas m’empêcher et ma main, comme mue par une force propre, vient s'éclater sous la forme d'une forte gifle sur la joue du gamin.

« Non mais t'es malade espèce de crétin ? Qu’est-ce qui t'as pris de sauter ? » Quoi ? Moi ? Violent ? N'importe quoi… Si je l'engueule c'est qu'il l'a mérité ! Quelle idée de faire cette connerie… Et puis il m'a fait peur… Imbécile… « T'en as tellement marre de la vie que tu veux crever ? C'est n'importe quoi… »

Je me sentais déjà partir, quand quelque chose m'a attrapé, remonté à la surface et ensuite tiré sur la berge. J'ai craché toute l'eau que j'avais avalée et j'ai à peine eu le temps de reprendre mon souffle, que quelque chose m'a heurté sur la joue sans aucune douceur. Complètement hébété, je tourne la tête et mon regard se pose sur un jeune homme complètement trempé, dont les cheveux mouillés décolorés en blond lui tombent dans les yeux. Il a l'air furieux et je comprends alors que le choc que j'ai ressenti, c'est une gifle qu'il m'a donnée. Et il m'engueule en plus. Je n'avais pas besoin de ça. Ce n'était vraiment pas le moment de... Malgré moi, des larmes se mettent à rouler sur mes joues, se mêlant aux gouttes d'eau et bientôt j'éclate en sanglots déchirants, qui me secouent entièrement et m'empêchent presque de respirer. J'ai tellement mal... Si Seulement j'avais pu en finir pour faire cesser cette douleur... Mais apparemment même ça m'est interdit.
Je me recroqueville sur moi-même, les genoux vers la poitrine et les bras autour. Anikiiiiiiiiii... Plus je pense à lui, plus j'ai mal et plus je pleure.

Le gosse a l'air totalement choqué à cause de ma gifle, avant de se mettre à pleurer. Mais pas juste quelques larmes, des sanglots horribles, déchirants. Qu'a donc bien pu subir ce petit être si fragile pour avoir aussi mal ? Comme si tous les malheurs du monde s'étaient abattus sur lui, qu'il en semblait incapable de se relever. Que faire à présent ? Le laisser comme ça était juste inconcevable. La seule idée qui me vient est de le tirer un peu pour qu'il se relève un peu et de le serrer dans mes bras, contre moi, de toutes mes forces. Je le sens trembler et pleurer entre mes bras, et ça me trouble, je me sens incapable de le laisser ainsi.

« Hey… Qu'est-ce qui se passe ? » Ma main glisse dans ses cheveux alors que je le serre encore contre moi. « Laisse toi aller… ça ira mieux ensuite tu verras… » Inconsciemment, je me balance doucement, comme pour bercer ce petit être entre mes bras pour l'aider à se calmer. « Shhh calme toi… Ca va aller… »

A ma grande surprise, celui qui m'a repêché et giflé, qui m'a engueulé, me serre soudain contre lui en me parlant doucement. Presque avec tendresse. Et ça me fait pleurer encore plus. Pourquoi un parfait inconnu semble se soucier davantage de moi que mon propre Aniki ? Des gémissements de bête blessée à mort m'échappent sans que je puisse les retenir et malgré moi, je donne de petits coups dans le dos de cet inconnu, les poings serrés. Mon but n'est pas tant de lui faire mal que d'essayer d'exorciser la douleur qui m'étreint.
Je ne sais pas combien de temps s'écoule ainsi sans que je réussisse à me calmer, mais sûrement un très long moment. Pendant lequel l'inconnu ne me lâche pas. Comme s'il avait compris que sans une bouée à laquelle me raccrocher je ne pourrais que sombrer dans cette noire marée de tristesse et de souffrance qui m'entoure. Le torrent de larmes finit par s'arrêter (sûrement parce que je n'ai plus une goutte d'eau dans le corps), le laissant simplement à hoqueter stupidement. Je dois donner un beau spectacle...
Je me détache de lui et me relève, puis me retourne pour m'éloigner, la tête basse. Je ne serais plus jamais heureux. C'est impossible.

A priori j'avais eu la bonne réaction en le serrant dans mes bras. Ce gosse lâche soudain toute la souffrance qu’il devait retenir en lui. Ses cris sont vraiment déchirants et ça me brise le cœur. Je resserre encore mon étreinte et je le laisse pleurer dans mes bras. Je sens ses poings me frapper dans le dos, mais il ne frappe pas assez fort pour me faire mal, alors je le laisse extérioriser sa peine et sa douleur. Ses cris attirent les passants qui nous regardent bizarrement, deux jeunes hommes trempés enlacés, avec un hurlant de peine et de douleur, il y a de quoi susciter des questions. J'entends quelques remarques désobligeantes, mais bizarrement, un regard noir de ma part et ils se taisent. D'autres personnes suggèrent d'appeler la police, mais d'un signe, je leur demande de ne rien en faire, une confrontation avec la police serait une des pires choses à faire pour le gosse, selon moi.

« Hey calme toi, ça va aller… »

Le gamin finit par se calmer, il ne pleure plus au moins. Mais il lui vient alors l'idée de partir tout seul, sans même regarder où il va j'en suis sûr. Non mais il crois aller où ce crétin ? Dans l'état d'esprit où il est et en étant encore trempé ? Il veut attraper la mort, pas possible autrement. Je récupère mes affaires qu'un passant m'a ramenées, après l'avoir remercié, et rattrape en courant le mioche en lui mettant mon blouson sur le dos, le bras lui entourant les épaules, le serrant encore contre moi en marchant.

« Hey tu crois aller où comme ça ? Je doute que tu veuilles rentrer chez toit tout de suite, n'est-ce pas ? Alors tu vas rester avec moi pour l'instant. » J'ajoute avec un sourire, avant de continuer. « Allons manger un bout et boire un truc chaud, tu en as besoin… Hmm… Tu saurais où aller ? Je ne connais pas encore la ville.. »

Je m'éloignais déjà lorsque j'entends un bruit de course et, avant que j'ai pu dire ouf, je sens un poids sur mes épaules. L'inconnu a posé un blouson sur mes épaules et il y ajoute rapidement son bras. Pour m'empêcher de fuir ? Je ne sais pas. Ah si c'est ça étant donné ce qu'il me dit ensuite.
Rentrer ? Je n'ai plus aucun endroit où rentrer maintenant de toute façon et je m'en fiche... Ma misérable existence qui aurait du prendre fin il y a cinq ans n'avait d'importance que pour Aniki.

- C'est gentil, mais ne vous inquiétez pas pour moi. Reprenez votre journée comme si je n'existais pas... soufflé-je d'une voix morne. Je n'ai besoin de rien, ne sers à rien et n'ai d'importance pour personne.

Sur ces mots je me détache de lui, retire le blouson de mes épaules et le lui tends sans le regarder.

J'espérais que le gosse se montrerait un tant soi peu raisonnable et ne s'enfuirait plus. J'espérais aussi que l'idée de manger un bout ou de boire quelque chose de chaud lui plairait… Mais non ce gamin continue à vouloir partir, en racontant des conneries en plus. Un soupire m’échappe. Je vois bien qu'il va mal et que ce n'est pas avec quelques mots qu'il va changer d'esprit.

« Il fait nuit, la journée est finie crétin… Et j'ai tout mon temps, alors n'espère pas que je vais te laisser comme ça. » Je lui donne alors une petite tape sur l'arrière du crâne. « Et si j'arrive à te frapper c'est que tu existes… Et tu crois que tes conneries servent à quelque chose ? Arrête de raconter n'importe quoi et viens avec moi… Tu trembles de froid… »

Je lui remets mon blouson sur le dos et je l'entoure de mon bras à nouveau. Cette fois qu'il essaye de s'échapper encore tien… Je m’arrête devant un distributeur, tout en tenant encore le mioche, je prends une boisson chaude et lui tends, l'incitant à la boire.

L'inconnu continue à m'engueuler... Aniki le ferait certainement aussi s'il était là, si j'avais encore de l'importance à ses yeux. Ce qui n'est plus le cas. Je ne sais pas pourquoi il ne veut pas me laisser seul, mais finalement je lui en suis reconnaissant. Je pense que seul, je... je rententerais probablement d'en finir.
J'acquiesce la tête basse quand il tente de me convaincre que je dis n'importe quoi. Mais je sais qu'il a tort. Même to-san n'a pas courru après moi quand j'ai quitté la résidence. Rien que cette idée me remet les larmes aux yeux et je renifle.
Au moment où il dit que je tremble de froid, je me rend compte que je suis effectivement transi et je me mets a claquer des dents. Je ne sais pas si c'est uniquement à cause du froid ou parce que mes nerfs lâchent aussi. Du coup je prends avec reconnaissance la canette bien chaude qu'il me tend et je sens que le liquide chaud me fait un peu de bien.

- Merci... soufflé-je. Je suis désolé de vous encombrer...

Bizarrement, il ne semble plus vouloir s'enfuir et tant mieux. Il reste même à côté de moi et boit la boisson que je lui propose. Il y a du progrès. Je me prends aussi une boisson chaude parce que mine de rien, ça caille sévère, les bains de minuit, dans le fleuve, tout habillé, alors que l'hiver approche, ce n'est pas le meilleur moyen pour rester au chaud. Il faut qu'on trouve rapidement un endroit au chaud sinon vive la pneumonie…. Bon j'exagère peut-être un peu.

« Encombrer… D'habitude on parle d'encombrant surtout pour les gros objets,,, Par exemple des gros meubles massifs. Et à priori tu n'es pas en bois et tu n'as pas de portes… tu ne serais donc pas un meuble ? Donc… tu n’es pas encombrant… CQFD. » Je lui démontre son erreur d'un air sérieux avant de rire de ma propre connerie. Ah parfois je me désespère moi-même. « Au fait je m'appelle Shin… Et toi ? Et tu connais un endroit où on pourrait aller se mettre au chaud ? Je ne connais pas encore… Sinon il y a mon studio… Si on reste au froid on va chopper la crève.. »

Un meuble ? La comparaison entre moi, tout frêle et sans muscles avec un gros meuble massif genre une armoire, me fait légèrement rire. C'est n'importe quoi. Je pense alors que la blague aurait bien fait rire Aniki aussi. C'est son genre d'humour ça. Aniki... Repenser à lui fait repartir mes larmes, même si je sais que c'est malpoli pour l'inconnu mais je ne peux pas m'en empêcher.

- Je... m'appelle... Asahi... fais-je en reniflant, avant de secouer la tête pour répondre à sa question.

Je ne sortais quasiment jamais de la propriété du clan, alors je ne connais pas du tout le quartier. Je restais la plupart du temps dans ma chambre ou alors j'allais à la bibliothèque pour travailler sur les devoirs que me donnait Aniki. Du coup je ne connais rien à la vie extérieure. Un nouveau frisson violent me secoue et j'éternue.

Ma connerie semble porter ses fruits et le gosse se met même à rire, même si ce n’est que légèrement. Hélas, ça ne dure pas longtemps, et rapidement ses larmes reviennent. Je sens que ça va être dur de le calmer. Qu’est-ce qui peut bien lui être arrivé ? Et surtout qu’est-ce qui pourrait lui redonner le moral ? Pour l’instant, il ne doit pas y avoir grand-chose hélas, mais pas question de le laisser trainer seul.

« Asahi ne ? Joli prénom. » Enfin je vais pouvoir l’appeler autrement que le gosse. « T’as pas d’idée de où on peut aller ? Hum… Moi non plus je n’en connais pas… Hey… je m’en doutais que tu allais chopper froid… Moi aussi je commence à avoir froid et je ne dois pas être malade… Donc viens avec moi. »

Je lui attrape le bras et l’entraine vers le studio que l’école me met à disposition. Il n’est pas bien grand, mais confortable, et au moins, j’ai un vrai appartement pour moi tout seul, je ne suis pas dans un dortoir avec plein de monde dedans. J’ai besoin de calme et de sérénité pour pouvoir me concentrer sur les compétitions à venir. Je ne suis ici que depuis quelques jours, donc j’ai un peu de répit avant de reprendre les entrainements, le temps de m’installer et de prendre mes marques.

Arrivés à mon immeuble, j’entraine Asahi jusqu’à mon studio et ouvre la porte.

« Entre vite, il fait plus chaud à l’intérieur. »

Je m'apprêtais à dire quelque chose, mais soudain j'entends mon interlocuteur éternuer à son tour. Oh non, il va tomber malade à cause de moi... Je ne suis vraiment bon à rien à part attirer des problèmes aux gens...
Du coup je ne fais plus aucune difficulté quand il m’entraîne quelque part, je lui dois bien ça. Il est trempé et gelé par ma faute... On marche donc jusqu'à un immeuble et je comprends alors qu'il m'emmène chez lui. C'est un peu gênant, parce que je ne connais après tout pas ce garçon. Je ne sais même pas comment il s'appelle... Mais comme il me demande d'entrer, je n'ose pas refuser et pénètre donc dans l'appartement. Il y règne une douce chaleur et la différence de température me faire violemment frissonner.

- Je suis désolé... Vous avez pris froid vous aussi à cause de moi... Pardon, murmuré-je, la tête basse.

Comme je ne suis arrivé ici il n’y a que quelques jours, mon appartement, enfin mon studio, est encore assez en désordre. Il y a des cartons, des sacs, même si je n’ai pas apporter beaucoup d’affaires. Plusieurs paires de patins trainent à côté des cartons, j’ai hâte de m’y remettre, mais l’entrainement va être dur. Ce studio est assez petit, mais confortable et bien aménagé, il deviendra un petit nid douillet. Mais passons ces réflexions, pour l’instant il y a un chaton à s’occuper.

« Ne t’inquiète pas, je vais vite me réchauffer… Toi aussi il faut te réchauffer, va prendre un bon bain chaud, la salle de bain est là. Il y a des serviettes et je vais essayer de te trouver des vêtements pour après. » Dis-je en poussant le chaton vers la porte de la salle de bain, en lui ébouriffant les cheveux. « Allé file. »

Après avoir fermé la porte de la salle de bain sur le chaton, je vais m’emmitoufler dans un peignoir chaud avant d’aller prendre une bouteille d’eau et de m’installer sur mon lit, qui me sert aussi de canapé, attendant que le chaton finisse.

En baissant la tête, je remarque le désordre de l'appartement de... je ne connais pas son nom. En tout cas, quel bazar ! Des cartons partout, des sacs divers pleins à ras bord de vêtements et... des patins à glace ? Plusieurs paires en plus. Est ce que ce garçon est un fan de patinage ? Je n'en ai jamais fais mais ça doit être amusant. J'éternue de nouveau et mon hôte me pousse vers sa salle de bain en me recommandant de prendre un bain chaud. En effet je suis transi, alors je suppose que puisque je ne suis pas mort, je ferais bien de me réchauffer.
Avec difficulté parce que mes doigts sont gelés, je retire mes vêtements trempés pendant que l'eau coule dans la baignoire sabot, puis me glisse avec délice dans l'eau chaude. J'avoue que ça fait du bien. Je m'adosse à la baignoire, pose la tête sur le rebord et contemple le plafond sans le voir. Tu parle d'un drôle d'anniversaire... Je ne sais même pas quelle heure il peut être. Tard sûrement vu l'heure à laquelle je me suis sauvé de la propriété.

- Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire Asahi, joyeux anniversaire... chantonné-je à mi voix sans le moindre entrain et sans me douter que mon hôte pouvait m'entendre car les murs étaient assez fins.

Après une quinzaine de minutes, je me décide à sortir de l'eau pour ne pas abuser de la gentillesse du garçon. Attrapant une serviette moelleuse, je me sèche puis l'enroule autour de ma taille avant de m'observer dans le miroir. Misère je suis vraiment un gringalet chétif... Pas étonnant qu'on ne ne donne pas mon âge et que des gens me prennent parfois pour une fille, je n'ai aucune relief nulle part et mes bras et mes jambes sont fins comme des cure-dents...
Un peu gêné, je range mes vêtements trempés en tas et ouvre la porte de la salle de bain.

- Heu... je... Qu'est ce que je fais maintenant ? Je n'ai pas de vêtements...

Installé sur mon lit, je regarde mon téléphone portable pendant un moment, alors que j’entends l’eau couler dans la salle de bain, vérifiant dans mes mails s’il n’y a pas de changement quant à la reprise de mon entrainement de patinage. Je sens que ça va me faire bizarre, une nouvelle ville, une nouvelle école, un nouveau programme d’entraînement, de nouveaux entraineurs, de nouveaux défis, un niveau plus élevé… Je ne vais pas devoir chômer, ça risque d’être difficile. Mais je suis motivé alors tout ira bien, c’est sûr.

Etant un peu réchauffé, je me relève pour aller fouiller dans quelques sacs pour trouver des vêtements qui pourraient aller au chaton. C’est sûr qu’ils seront trop grands, mais je n’ai rien de mieux à lui proposer. J’entend soudain une voix résonner doucement dans la salle de bain, les murs étant fins, j’entends tout. Joyeux anniversaire ? C’est l’anniversaire du chaton ? Il faut fêter ça, son anniversaire ne semble pas ben joyeux. Peut-être que ça lui remonterait le moral ? Mais que faire pour le fêter ? N’étant là que depuis quelques jours, je n’ai rien qui puisse l’agrémenter il me semble. D’ailleurs, quel âge peut avoir ce jeune homme ? 15 ans ? 16 ans peut-être ? C’est bien triste de vouloir mourir à la place de faire la fête.

Le bruit de la porte qui s’ouvre me coupe dans mes pensées. Asahi apparait dans l’encadrement, la taille entourée d’une serviette. Il ressemble vraiment à une crevette, un être fragile et adorable. Pourtant son corps semble recouvert de cicatrices et de marques, signe qu’il a dû subir beaucoup de choses qu’un enfant comme lui ne devrait jamais avoir à subir. J’efforce mon regard à ne plus le fixer, je me doute qu’il ne doit pas apprécier ce genre de d’observation. Je prends alors les vêtements que j’ai préparés et lui donne.

« Tiens, essaie ça, c’est un peu grand je pense, mais ça devrait aller pour ce soir. Désolé, c’est un peu le foutoir, je suis arrivé ici il n’y a que quelques jours, alors je n’ai pas eu le temps de ranger. » Enfin j’ai aussi eu la flemme de le faire, j’ai préféré découvrir ma nouvelle ville que de rester enfermé dans mon minuscule appart. « Je vais aller prendre un bain, fais comme chez toi, mets toi à l’aise, je n’en aurais pas pour longtemps. Oh et… Je t’ai entendu chanter tout à l’heure. C’est ton anniversaire ? Otanjoubi Omedettou Asahi… » Je le félicite en le serrant dans mes bras, comme un câlin consolateur, et en lui faisant un bisou sur la joue, avant de le relâcher. « Tu as quel âge à présent ? Désolé, je n’ai pas grand-chose pour le fêter… »

Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit de plus, que mon hôte me fourre un paquet de vêtements dans les mains. Les siens probablement et du coup je vais effectivement flotter dedans : il n'est pas beaucoup plus grand que moi mais il a l'air plus musclé.

- Merci... Je... viens d'avoir 19 ans en fait et je...

Il se passe alors la pire chose qui pouvait m'arriver : mon aîné me serre dans ses bras et m'embrasse sur la joue. A cet instant c'est plus fort que moi, je le repousse violemment en poussant un cri de terreur et me recule rapidement jusqu'au mur, contre lequel je me laisse glisser, des larmes d'une peur irrépressible coulant sur mes joues sans que j'y puisse rien. Non... Je ne veux pas... Je ne veux plus... J'ai tellement peur que ça recommence... que d'autres hommes comme eux recommencent à me toucher, à me... Rien que d'y penser, un cri étouffé et plaintif m'échappe. Je me recroqueville comme si je cherchais à entrer dans le sol, les mains sur la tête, les yeux fermés très fort et les dents serrées à me les casser. Pourquoi je ne suis pas mort ? Au moins je n'aurais plus à craindre ça...

- Aniki... murmuré-je plaintivement.

Moi qui espérais pouvoir lui remonter le moral, en lui souhaitant son anniversaire au petit chaton, je ne comprends pas ce qu’il se passe. Je me retrouve soudain le cul par terre, hébété, repoussé violemment par le dit chaton. Que se passe-t-il ? Je m’apprête à l’engueuler, à lui demander quelle mouche l’avait piqué, mais ce que je vois me coupe la parole. Ce chaton a l’air terrorisé, recroquevillé contre le mur, en larmes, poussant des cris de plaintifs de peur. What ? Que se passe-t-il ? Du coup je ne sais pas quoi faire face à lui.

« Hey… » Je me relève et m’approche doucement de lui, restant à bon distance. « Qu’est-ce qui se passe ? Asahi ? Qu’est-ce qui t’arrive ? » J’essaie de lui parler doucement, mais une inquiétude et de l’incompréhension se font entendre dans ma voix. « Calme-toi voyons, je ne te ferais pas de mal… » Je m’approche juste un peu plus, les mains levées en signe de paie. Que lui est-il donc arrivé ?

Je sais que... que Shin ne me veut pas de mal... Je le sais au fond de moi, mais mes réflexes de protection sont toujours vivaces. Et j'ai peur. Il m'a sauvé, aidé, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir peur. Je crois que j'aurais toujours peur si Aniki n'est pas près de moi pour me défendre. Je sais que je dois dire quelque chose à Shin. Pour m'excuser, pour lui expliquer... Mais comment expliquer l'horreur absolue à quelqu'un qui ne l'a pas vécue ?

- Je... Quand j'avais... douze ans... je... vivais dans... dans la rue... commencé-je sans même savoir comment poursuivre. Et je... des... membres d'un clan... m'ont... m'ont... Tous les jours ils... ils me... et depuis je...

Je suis incapable de terminer une phrase, alors j'espère qu'il a compris quand même. Moi je tremble comme une feuille et c'est pas de froid. de nouveau j'ai l'impression de les sentir me toucher.

Le petit a l’air terrorisé, j’espère que ce n’est pas moi qui lui fais si peur, même si je pense que si, ou qu’il superpose mon image à d’autres. J’espère qu’il arrivera à se calmer et à me parler, je n’arrive pas à imaginer ce qui pourrait le mettre dans un état pareil. Enfin sa voix se lève, il a du mal à parler et ce qu’il racontait semblait horrible, rien qu’à son ton. Douze ans, dans la rue, le pauvre petit… Et la suite… Je n’ai pas compris tout de suite, puis une image s’est formée dans mon esprit, lui, des brutes en train de… Argh non… Je secoue la tête pour effacer ces images.

« Ils ne sont plus là… Essaie de ne plus y penser…. Même si… Je me doute que ça ne doit pas être facile… C’est difficile à imaginer, tu as vécu des choses terribles… C’est ton Aniki qui t’a sauvé ? » Peut-être que le faire parler le calmera un peu… Autant essayer.

Je hoche la tête en réponse à sa question, puis rassemble mon courage pour expliquer comme je peux :

- Il... Aniki m'a trouvé alors que... que ces hommes... J'étais recroquevillé par terre, nu... tremblant de peur et de douleur... Il les a battus. Tous les trois. A lui tout seul et il n'avait que dix-sept ans... Je... ne l'ai jamais quitté depuis... C'est... mon sauveur... mon idole... et l'homme le plus courageux que je connaisse. J'espère... J'espère être comme lui un jour... même si je n'y crois pas trop...

Parler d'Aniki me fait à la fois du bien et un mal affreux. Parce que je ne le reverrais probablement plus jamais.
Je baisse la tête. J'ai froid de l'intérieur.

Et bien, ce aniki semble vraiment beaucoup compter pour le mioche, il semble même être une sorte de héros. Vu ce qu’il semble avoir vécu, il doit s’être passé quelque chose de grave pour qu’il craque ainsi et essaie de se tuer, et ça dit avoir un lien avec ce fameux aniki, il n’aurait jamais gâché la vie qu’il avait sauvé pour rien. Qu’a-t-il pu faire pour le décevoir autant ? Ou peut-être qu’il a découvert quelque chose qui l’a troublé ?

« Tu n’as pas à essayer d’être quelqu’un d’autre que toi. » Je pense qu’éviter les détails de ce qu’il a raconter est le mieux. « Tu peux l’admirer, le prendre pour exemple, mais même si tu n’arrives pas à être comme lui ce n’est pas grave. Tu es toi, tu as ta personnalité, tes caractéristiques, tu ne seras jamais comme ton aniki, mais il faut que tu trouves qui tu es toi. » Euh… Est-ce qu’il va piger ce que je veux lui dire ? J’ai l’impression de m’embrouiller un peu… Ma main va ébouriffer ces cheveux avant de reprendre. « Allé… Pense à autre chose… Un chocolat chaud ? »

Sans attendre sa réponse je me lève pour aller vers ma petite cuisine pour faire chauffer deux tasses de chocolat chaud et mettre quelques biscuit dans une assiette.

Ne pas essayer d'être quelqu'un d'autre que moi... Il en a de bonnes... Si je reste moi, autant dire que je reste rien du tout. Tout ce que je suis, tout ce que je suis devenu, c'est à Aniki que je le dois... Le vrai moi... Enfin le moi tout court... n'a pas le moindre intérêt pour qui que ce soit... Je ne suis ni grand ni beau, je n'ai pas de talent spécial, je ne suis pas plus intelligent qu'un autre. En outre je ne sais pas ce que je vais devenir professionnellement parlant quand j'en aurais l'âge parce que je ne sais même pas vers quoi orienter mes études quand j'aurais l'âge de ne plus être au lycée... Bref je suis tellement transparent, inutile et inintéressant... qu'il est probable que je finisse seul de toute façon.
Un éternuement m'échappe. J'ai réussi à m'enrhumer à défaut de mourir... Fantastique. Du coup j'accepte avec reconnaissance la proposition de Shin.

- Je veux bien, merci... Ensuite je partirais. Je ne veux pas être un poids pour toi, tu as déjà beaucoup fait alors que tu n'y étais pas obligé.

La question étant : où aller ensuite ? Je ne me vois pas retourner à la propriété. Personne ne m'attend plus là-bas. Mon père sera sûrement content d'être débarrassé de moi au final puisqu'il n'a pas choisi de m'adopter mais que je lui ai été imposé par Aniki. Aniki... a ce Nao maintenant, alors ce que je peux bien devenir lui est parfaitement égal. Et les membres du clan m'ont toujours ignoré, comme si un gringalet chétif comme moi ne valait pas leur regard.

Ce que j’ai dit semble beaucoup travailler le petit chaton. J’ai l’impression qu’il est tellement en adoration devant son aniki qu’il n’a pas conscience de sa propre vie. Enfin peut-être que mon imagination va trop loin, mais je pense qu’il n’a jamais réfléchi à sa vie et qu’il doit se dire que sans son aniki, il n’existe pas. Pendant que je prépare le chocolat chaud, je jette quelques coups d’œil vers lui, et j’ai presque l’impression de voir de la fumée sortir de son crâne tant il doit réfléchir. Si bien qu’il faut qu’il éternue pour le faire revenir à la réalité pour qu’enfin il me réponde… Plusieurs minutes après ma question. D’ailleurs, le chocolat chaud est prêt et je le dispose sur un plateau, avec des gâteaux, que j’emmène près du canapé. Mais une chose a évolué, il me tutoie maintenant.

« Et si t’arrêtais de raconter des conneries et que tu buvais ton chocolat chaud ? Tu crois peut-être que je vais te laisser partir comme ça ? Alors que t’es malade, qu’il fait nuit et que t’as nulle part où aller ? Donc tu bois tranquillement et tu ne bouges pas d’ici. Et pas la peine de grogner, t’as pas le choix. » Je prends moi aussi une tasse de chocolat chaud. Je sais bien que c’est normalement pour les gamins, mais j’y peux rien j’adore ça. Le café c’est bien trop amer pour moi, beurk.

Je soupire de soulagement en entendant Shin m'ordonner de rester chez lui. C'est vrai que j'ai l'impression d'être un poids et de ne servir à rien, mais ce qui est vrai aussi, c'est que je n'ai pas d'endroit où aller et que je ne suis pas très rassuré quand il fait noir. Oui encore un truc qui me fait peur. Je suis vraiment une flippette, je ne sais pas comment Aniki et mon père ont pu ne pas avoir honte de moi toutes ces années.

- Je... Merci...

Je trempe mes lèvres dans le chocolat chaud et en bois une gorgée. Le liquide brûlant me fait un peu de bien et je resserre les mains sur la tasse. J'ai l'impression que mon froid intérieur se répercute sur l'extérieur parce que je sens que je tremble comme une feuille. Je ferme les yeux quelques secondes. Je me sens si fatigué... Trop de choses se sont passées aujourd'hui. Beaucoup trop pour moi qui suis habitué à une petite vie tranquille. Mais Shin m'a sauvé (décidément je passe ma vie à être sauvé par les gens) alors je ne peux pas m'endormir comme ça. Je lui dois bien ça.