Changement de cible

Wataru aurait adoré que les conseils de Koya puissent s’appliquer mais il savait que ses professeurs étaient intransigeants et que les TP notés ne se feraient pas sans sa présence. Il réfléchit un moment et décida d’accepter que Koya essaie de voir avec ses professeurs parce que s’il demandait lui ils n’accepteraient jamais. Il soupira un peu de devoir demander aux autres de parler pour lui.

-Je t’avoue que ça m’effraie beaucoup. J’ai des TP notés et je ne sais pas du tout s’ils accepteraient que je les fasse en décalé ou que je les fasse avec tes tenues.... Tu voudrais bien aller leur demander ? Je sais que je t’en demande beaucoup mais si c’est moi qui demande ils n’accepteront pas... moi je suis juste un élève après tout....

Il bassa la tête, un peu honteux de devoir faire appel à Koya pour ça même si c’est lui-même qui l’a proposé. Il espérait vraiment que Koya accepte de leur parler et surtout que ses professeurs soient favorables à leur projet. Après tout c’était une occasion unique alors peut-être qu’ils voudraient bien.

C'était parfaitement stupide, mais Koya trouva l'air gêné de Wataru totalement adorable et il fondit intérieurement. Comment résister à ce visage d'ange et à cette rougeur qui avait envahi ses pommettes ? Lui n'en avait absolument pas l'intention.

- Bien sûr, répondit-il en souriant. On peut même y aller maintenant si tu veux. il est encore tôt, tes professeurs doivent encore être là et puis plus tôt ce sera fait, plus vite tu seras rassuré et nous pourrons commencer à travailler ensemble sur mes costumes.

Il se sentait presque euphorique sans comprendre vraiment pourquoi. Probablement que le fait qu'il y ait brusquement de la nouveauté dans sa vie y était pour quelque chose. Il alla rincer leurs verres dans la cuisine puis, attrapant son interlocuteur par la main, il se dirigea vers la porte et lui demanda de le guider jusqu'à son école.
Après un moment de marche, tous deux arrivèrent au bâtiment qui l'abritait et il demanda à son futur costumier de l'attendre, puis s'adressa à un étudiant afin de se diriger facilement vers le bureau des professeurs. Il en ressortit une demie heure plus tard, un grand sourire aux lèvres.

- Tes professeurs n'ont pas été faciles à convaincre, mais j'ai su trouver les mots. Tu as l'autorisation de faire la tournée avec moi, tu devras juste faire des photos très précises de chacun des modèles que tu vas créer pour moi et les leur envoyer régulièrement pour qu'ils puissent noter ta technique, les finitions etc.

Il ne comprit pas tout ce qui se passa. Entre les mots de Koya et son empressement il ne put reprendre pied qu’en arrivant devant son école. Il comprit qu’il allait devoir attendre dehors que Koya aille voir ses professeurs et il tourna en rond comme un lion en cage à stresser attendant le mot final de cette discussion. Il n’était pas prêt psychologiquement à avoir une réponse positive ou négative. Il finit par s’asseoir la tête dans les mains, il était tellement stressé qu’il avait presque envie de pleurer... et il finit par pleurer d’ailleurs. Silencieusement, les mains et les épaules tremblantes assis sur un banc devant l’école.
Il entendit la porte de l’école s’ouvrir avec fracas et supposa qu’il s’agissait de Koya alors discrètement il essuya ses larmes et se leva pour aller lui demander la réponse. Et il n’eut rien à dire Koya trop pressé de lui annoncer la bonne nouvelle lui avait coupé la parole et lui avait tout dit. D’un coup la pression retomba et ses larmes reprirent de soulagement et de joie.

-Oh mon dieu, c’est... c’est tellement inespéré, merci, merci merci je n’aurais jamais pu les convaincre sans toi merci, merci mille fois, il prit Koya dans ses bras, fou de joie pleurant sur son épaule et sautillant en même temps.

Au bout de quelques sauts il se calma et lâcha Koya, affreusement gêné, les joues humides et un rire nerveux au fond de la gorge. Il toussota.

-Herm... pardon j’ai un peu trop exprimé ma joie je crois, rit-il en se mordant la lèvre.

Si Koya s'attendait bien à de la reconnaissance venant de Wataru, il était très loin de s'attendre à la façon dont elle se manifesta et en même temps, cela lui fit plaisir qu'il se montre si naturel envers lui. C'était mieux pour des personnes qui allaient travailler en si étroite collaboration pendant les trois mois à venir et puis surtout... il avait brusquement une impression inédite : celle de compter pour quelqu'un d'autre que son frère et sa sœur jumeaux. Un sourire attendri fleurit sur ses lèvres et il referma les bras sur son cadet toujours pressé contre lui en lui caressant doucement les cheveux, puis essuya délicatement les larmes (de bonheur ?) qui roulaient encore sur ses joues.

- De rien, lui dit-il doucement. Ca ne m'a rien coûté de leur parler et puis... c'était autant pour toi que pour moi puisque je voulais absolument que ce soit toi. A partir de maintenant, nous sommes collaborateurs pour au moins trois mois, alors il ne faut rien nous cacher. Le moindre détail peut avoir une incidence sur notre travail commun, alors ne t'excuse pas d'être naturel parce qu'il faut que tu le sois. Je ne pourrais pas travailler dans d'autres conditions.

Ne voulant pas l'embarrasser davantage, le jeune homme lâcha son cadet malgré la brusque impression de vide et de froid qu'il ressentait, puis reprit :

- Alors dis-moi, de quoi as-tu besoin pour travailler correctement ?

La pression et la gêne descendirent d’un cran quand Koya lui excusa son comportement digne d’une écolière. Il tritura ses mains de gêne mais tout de même un sourire aux lèvres. Après quelques instants il retrouva son calme et put répondre à Koya.

-Merci c’est gentil d’avoir fait ça pour moi je ne sais pas comment j’aurais fait sans toi, sourit Wataru.

Il réfléchit un instant à la question, il devait tout prendre en compte s’ils partaient effectivement en tournée. Et plus il y pensait et plus la liste s’allongeait, il eut une moue chafouiné puis finit par expliquer son problème.

-pour le moment je ne sais pas de quoi j’aurais besoin, enfin si... mais je n’ai pas encore les quantités ni les types de tissus, il faudrait que je commence par savoir ce que tu joueras pour adapter les tenues aux musiques autant que possible. Il me faudra aussi une machine à coudre puisqu’on n'est jamais à l’abris d’une catastrophe, avec évidemment des aiguilles et du fil, beaucoup de fils, de plusieurs couleurs selon les tenues, enfin voilà quoi je vais faire une liste et je te la donnerai quand elle sera finie. Il fronça les sourcils puis repris. D’ailleurs tu voudrais combien de tenues ou de styles ? Je dois prendre ça en compte aussi ! Il faudra que tu me dises tout ça !

Il sourit à Koya, remonté à bloc et déjà près pour habiller la terre entière de ses vêtements. Il avait déjà quelques idées en ne faisant que regarder le musicien mais il lui faudrait aussi ses musiques pour faire des tenues réellement parfaites.

- Que tu sache ce que je vais jouer ? Et bien toutes les musiques de mon nouvel album. Tu en as déjà entendu trois, je peux te jouer les neuf autres si ça peut t'aider pour visualiser les six tenues dont j'aurais besoin, proposa le jeune homme en dédiant à son interlocuteur un autre de ses sourires enchanteurs. Quant au matériel, tu as carte blanche pour acheter tout ce dont tu auras besoin. Et quand je dis tout, c'est vraiment tout. Ne lésine pas sur la qualité.

Sur ces mots, il se dirigea vers sa sacoche, de laquelle il tira son portefeuille, avant de fourrer dans la main de son désormais costumier une épaisse liasse de billets de dix mille yen.

- Si tu as besoin de plus, n'hésite pas à me le dire, je ferais le nécessaire. Et ne te bride pas, j'ai largement les moyens de payer, ajouta-t-il, certain que son compagnon allait protester contre la somme remise.

Il reprit ensuite son violon, le relia de nouveau à la prise électrique et se remit à jouer avec toujours autant de passion, car qu'il joue pour plusieurs centaines de personnes ou une seule, un public restait un public.

-Il me faudrait aussi l’album pour que je puisse les écouter plusieurs fois et que je n’ai pas à te déranger à chaque fois, sourit Wataru.

Il crut rêver quand il reçut la liasse de billets, il se demanda si ce n’était pas une blague ou de faux billets. Mais force était de constater que non c’était de vrais billets et aucune caméra ne sorti de derrière un buisson. D’un coup une réalisation lui vint.

-Mais qu’est-ce que tu fous avec autant de liquide sur toi ??? On est au japon mais quand même! Il fit une pause, je vais commencer par prendre tes mesures heureusement tu fais pas deux mètres je vais économiser du tissu!

Il finit sa phrase sur un ton humoristique puis écouta attentivement chaque morceau en prenant des notes sur le rythme, le style et tout ce qu’il comprenait de la musique pour s’inspirer à la création des futures tenues. Il commençait d’ailleurs à avoir quelques idées qu’il écrivit à la suite de ses notes.

La phrase qui passa les lèvres de son costumier lorsqu'il lui remit l'argent nécessaire à l'achat du matériel, ne fut pas vraiment celle à laquelle pensait Koya. Il était sûr d'entendre des protestations concernant la somme... mais ce fut une remontrance qu'il lui adressa. Et comme jamais personne hormis Kaito (qui ne comptait pas puisque c'était son frère) ne se permettait de lui en faire, l'audace de son compagnon le fit rire de bon cœur au lieu de le mettre en colère.

- J'ai toujours autant de liquide sur moi, répondit-il ensuite dans un sourire amusé. Parfois un peu moins mais grosso modo... Je trouve ça plus pratique et comme tu l'as souligné, nous sommes au Japon, donc je ne risque pas de me faire voler par un pickpocket ou autre.

Il s'éloigna vers un meuble bas qui se trouvait un peu plus loin dans le salon, ouvrit une porte et en sortit un exemplaire de son album, qu'il lui tendit après l'avoir dédicacé d'un sobre "Merci d'avoir accepté". Le musicien entreprit ensuite de retirer sa chemise et son pantalon afin que son nouveau costumier puisse prendre ses mesures plus commodément.

- Je suis tout à toi, déclara-il en souriant toujours.

Wataru fut surpris mais amusé du flegme de son ainé. Ils ne vivaient définitivement pas dans le même monde financièrement. Mais après tout l’autre avait bien le droit de faire ce qu’il voulait de lui-même et de son argent, et surtout il lui donnait du travail il n’allait pas critiquer son premier employeur/client.

-Si j’ai ne serai-ce qu’un billet de mille yen je suis content personnellement, rit Wataru avant d’ajouter taquin, après tout tu as bien le droit d’avoir un peu d’argent de poche sur toi.

L’étudiant pris l’album des mains de son ainé avec beaucoup de respect, après tout il lui offrait son CD rempli de sa fabuleuse musique c’était la moindre de choses. Lorsqu’il leva les yeux pour trouver Koya en sous vêtement il dut se retenir de rougir et surtout de le reluquer sans discrétion.

-Commençons ! S'exclama-t-il finalement en sortant un calepin et un stylo pour noter ses mesures.

Les mesures furent prises rapidement mais chaque contact entre ses doigts et la peau du musicien électrisèrent le pauvre étudiant à tel point qu’il s’était sciemment caché dans le dos du musicien pour qu’il ne voit pas son trouble et ses joues rouges.

Pendant quelques instants, le silence retomba dans la pièce, mais la réaction de Wataru à la vue de son corps quasi nu qu'il savait sculptural, fit plaisir à Koya. Cela voulait dire que son plan marchait bien et que sa proie commençait à s'attacher à lui. Attachement qui ne ferait que croître pendant ces deux mois de tournée, il ferait tout pour.
Apparemment indifférent, le musicien observa avec amusement son costumier tourner autour de lui et frémir de façon à peine perceptible à chaque fois que ses doigts frôlaient sa peau. Il était si facile à déchiffrer... Jouer avec lui serait un pur délice.

- Tu as tout ce qu'il te faut comme mesures ? finit-il par demander à son cadet. De toute façon, s'il te manque quelque chose, tu n'auras qu'à revenir dès que tu voudras.

Sur ces mots, il se rhabilla lentement, pour laisser à son interlocuteur le temps d'admirer le spectacle, puis se tourna de nouveau vers lui.

- Je vais te raccompagner chez toi. Ca nous permettra de continuer à discuter, dit-il dans un autre de ses sourires enchanteurs auxquels personne ne résistait.