Douceur, chaleur et protection... factices ?

Peu à peu, Koya sentit son invité se détendre, au point de se blottir contre lui et de poser la tête sur sa poitrine. Un sourire triomphant que Nao ne put pas voir fleurit sur ses lèvres puis, le sommeil reprenant ses droits, il bâilla et referma les yeux, se rendormant rapidement avec son compagnon de lit toujours serré contre lui.

Quelques heures plus tard, le jeune homme rouvrit les yeux et son regard tomba sur le visage paisiblement endormi de Nao. Un adorable sourire attendri s'afficha sur son visage, l'éclairant d'une lumière angélique et il caressa tendrement les cheveux et la joue de son invité, avant de se lever le plus doucement possible pour ne pas l'éveiller. Bâillant à s'en décrocher la mâchoire, il jeta un œil à la pendule de l'entrée et constata qu'il lui restait un peu de temps avant de partir à la fac. Il était très ennuyé de laisser Nao seul dans l'appartement, surtout qu'il ignorait quelles réactions pouvait avoir celui-ci en se découvrant seul dans cet appartement inconnu, mais s'il voulait devenir médecin, il ne pouvait pas se permettre de manquer une journée de cours.
Après une douche rapide, il décida de préparer un petit déjeuner que son invité pourrait manger à son réveil : soupe miso, anguille grillée, riz, légumes marinés maison et œuf. Il rédigea ensuite un court message, qu'il alla déposer sur l'oreiller sur lequel il avait dormi : "Bonjour Nao-kun. J'espère que tu as bien dormi. Je suis désolé de ne pas être là à ton réveil mais j'ai du partir pour la fac (les études de médecine prennent beaucoup de temps et je n'en suis absolument pas maître). Ton petit déjeuner est sur la table. Fais comme chez toi, mais j'espère que je te trouverais à la maison à mon retour ce soir. Je tiens à toi et n'ai pas envie de te perdre. Si tu veux sortir, la clé de la porte est sur le meuble de l'entrée mais... s'il te plait, reviens-moi."
Cela fait, il se dépêcha de se rendre à la fac où une longue journée l'attendait.

Nao se réveilla un long moment plus tard. Après quelques secondes à apprécier la chaleur et le moelleux du lit, il se releva en sursaut, se demandant où il se trouvait. Le cœur battant à tout rompre, il constata qu'il était presque nu dans une chambre qu'il ne connaissait pas et ne se rappelait pas ce qu'il s'était passé. Était-il tombé sur un vieux pervers qui avait abusé de lui ? Où se trouvait-il ? Il n'avait mal nulle part, donc probablement n'avait -il pas été violenté. Alors pourquoi était-il ici ? Observant les alentours pour chercher une réponse, son regard tomba sur le mot laissé par le propriétaire des lieux.

Le cœur soudain apaisé, Nao se rappela de la soirée qui s'était écoulée. Sa rencontre avec Koya, sa gentillesse, il lui avait permis de se laver, lui avait prêté de vêtements propres, lui avait préparé un repas. Personne ne l'avait jamais aidé ainsi, avec autant de désintéressement, et Nao en était gêné , ne sachant pas comment réagir. Mais il trouvait ça si agréable, qu'il aimerait bien s'y habituer. Il ne faisait cependant pas d'illusions, le comte de fée allait sans doute bientôt prendre fin, et il retournerait probablement à sa vie miséreuse.

Hésitant sur ce qu'il pouvait faire, s'il devait attendre ici comme Koya lui avait demandé, ou s'il devait s'enfuir et retrouve au plus vite sa vie, Nao commença par profiter d'une bonne douche super agréable. Il ne put résister au petit déjeuner que lui avait préparé son hôte, il le dévora jusqu'à la dernière petite miette. N'osant pas fouiller pour trouver ses vêtements usés, il s’habilla avec les vêtements que Koya lui avait prêtés.

Il resta un moment dans l'appartement, n'osant toucher à rien, mal à l'aise. Au bout de quelques heures, ne tenant plus à tourner en rond dans cet appartement, Nao mit son vieux manteau, ses chaussures trouées et hésita avant de prendre les clés de l'appartement. Il traîna de longues heures en ville sans savoir quoi faire. Il mendia un peu mais n'obtint que quelques pièces. Il n'avait pas osé aller danser, n'ayant pas son poste, et danser sans musique était nul. Il n'avait pas gagné assez pour s'acheter à manger, aussi se contenta-t-il du petit déjeuner, assez copieux, qu'il avait eu et réprima sa faim.

Lorsque la nuit tomba, il hésita longuement à retourner dans cet appartement, mais il avait la clé, il devait bien au moins les redonner. Il resta un long moment devant l'immeuble, s'en approchant, s'éloignant, revenant, hésitant… Il se décida enfin, après avoir croisé plusieurs voisins qui le regardèrent comme un individu louche, ils auraient sans doute appelé la police s'il était resté là plus longtemps. Il pénétra dans l'immeuble et se rendit devant l'appartement. Il n'osa cependant pas utiliser la clé, préférant sonner et attendre de voir si quelqu'un lui ouvrirait.

Libéré plus tôt de ses obligations au club à cause du nombre de clients insuffisant par rapport au nombre d'hôtes, Kaito s'était dépêché de se changer pour rentrer chez lui après une douche rapide puisque Yukio, lui, était retenu sur leur lieu de travail. S'étirant tant et plus en bâillant à s'en décrocher la mâchoire, il se dirigea vers leur immeuble, pressé d'aller se coucher après une journée bien remplie. Mais une surprise l'attendait à son arrivée à l'appartement. Un inconnu se trouvait devant la porte, une clé en main et manifestement indécis quant à ce qu'il devait faire. Bien que moins malin que son frère, il ne fallut que quelques secondes au jeune homme pour comprendre de qui il s'agissait en recoupant le peu d'informations dont il disposait.

- Salut. Tu dois être le fameux Nao-kun que Koya a invité à la maison, lui dit-il. Je suis Kaito, son frère jumeau.

Il observa son vis à vis et comprit aussitôt ce qui avait attiré son frère en lui : il était très beau, mais sa maigreur perceptible malgré les vêtements de Koya dont il était habillé lui donnait une certaine fragilité, qui devait également être psychologique sinon son frère n'aurait pas fait de lui sa nouvelle cible. Et pour le moment... Nao n'avait pas trop l'air dévasté, donc son frère devait encore en être à la phase "je suis un gentil garçon, je serais un parfait petit ami". Ce qui voulait dire que l'occasion lui était donné de faire pour ce garçon ce qu'il n'avait pas pu faire pour toutes les autres victimes de Koya.

- Il faut que je te parle, Nao-kun, c'est très important et même... même vital pour toi, dit-il d'un ton grave en ouvrant la porte, avant de l'inviter à entrer.

Il devait lui raconter la vérité sur son jumeau, quitte à complètement décrédibiliser ce dernier et il devait le faire vite, avant qu'il ne rentre de la bibliothèque universitaire où il passait deux heures chaque soir après ses cours. Ce serait probablement la seule opportunité qu'il aurait de sauver une des victimes de son frère.
Le faisant asseoir, il le considéra longuement tout en cherchant ses mots, puis décida d'être cash. Il n'avait pas le temps de faire dans la délicatesse car chaque minute pouvait voir le retour de Koya.

- Ecoute, je sais pas où Koya t'as rencontré, mais je pense que pour avoir accepté de dormir ici, tu dois déjà lui accorder une certaine confiance. Il faut pas. A aucun prix. Ce serait même la pire erreur que tu pourrais faire. Koya est pas du tout ce qu'il t'a semblé être. Il l'était avant, mais il a changé. Depuis que notre frère aîné nous a abandonné il drague de façon subtile n'importe quel mec qui lui parait assez fragile physiquement et/ou psychologiquement, se fait passer pour un garçon adorable qui s'inquiète des sentiments des autres etc, il joue le jeu à la perfection jusqu'à ce que sa victime puisse plus se passer de lui et soit prêt à lui accorder tout ce qu'il veut. Il joue alors avec un moment puis, une fois lassé, il jette sa victime sans aucun remord et sans plus lui accorder le moindre regard. Je te dis ça, Nao-kun, parce que je veux pas que tu finisse comme tous ces mecs. Alors pars, fuis-le tant qu'il en est encore temps, tant que tu es pas encore attaché à lui. Sauve ton cœur, ton esprit et ton intégrité physique.

Ayant débité son monologue quasiment sans reprendre son souffle, Kaito s'efforça de le retrouver en attendant une réaction de son interlocuteur.

Nao avait beau sonner à la porte de l'appartement de Koya, personne ne venait ouvrir et il n'entendait aucun bruit à l'intérieur. Il faisait pourtant déjà nuit, bizarre que personne ne soit là. Pouvait-il entrer dans le logement pour l'attendre au chaud, ou au pire récupérer ses affaires pour repartir ? Il resta donc un long moment à hésiter, faisant tourner la clé dans ses mains. Une voix se fit entendre près de lui, le faisant fortement sursauter, si bien que la clé lui échappa des mains. Se tournant vers cette voix, il tomba nez à nez avec un beau jeune homme qui ressemblait à Koya, mais sans être lui.

Surpris que cet inconnu connaisse son prénom, Nao acquiesça seulement’ n'osant pas bouger plus, s'il avait osé, il se serait plutôt enfui. L'autre lui apprit qu'il était le frère jumeau de son hôte, c'était sans doute pour ça qu'il lui ressemblait tant, mais il lui semblait plus froid ou distant. Peut-être se trompait-il ? Ses paroles suivantes l'intriguèrent, lui parler ? Un besoin vital ? Pourquoi ?

« Qu… Que se passe-t-il ? » Bafouilla-t-il, hésitant à suivre le frangin à l'intérieur.

Il entra finalement, le suivant et s'asseyant lorsqu'il le lui demanda. Mal à l'aise, il se sentait mal sous le regard scrutateur de son interlocuteur, se demandant ce qu'il lui voulait. Kaito commença à parler, le faisant sursauter. Au début, il ne comprenait pas ce qu'il voulait dire et dût se répéter plusieurs fois certains bouts de phrase pour se dire qu'il avait bien compris ce que l'autre voulait dire. Tout était faux ? Vraiment ? Sa gentillesse, sa compassion, sa douceur, tout était faux ?

« Vous… Vous plaisantez ? Mais il… il est si gentil… Il m'a aidé, nourri, j'ai pu dormir au chaud… Et tout ça… c'était… pour jouer ? »

Complètement désemparé, Nao refusait de croire ce qu'il lui racontait, c'était impossible. Pourquoi devrait-il le croire lui, plus que son frère ? Mais en fait il ne les connaissaient pas plus l'un que l'autre. Devait-il l'écouter et s'enfuir ? Perdre la perspective de dormir dans un lit chaud et moelleux et de profiter de la gentillesse de son hôte ?

« Mais… Pourquoi ? » Pourquoi faisait-il ça ? Pourquoi lui raconter ça ? Pourquoi plein de choses… ? Et que devait-il faire à présent ?

Kaito considéra l'air perdu de son interlocuteur avec compassion. Il savait que c'était difficile à croire, mais il ne pouvait s'empêcher d'imaginer son petit ami à la place de Nao. Il devait tout tenter pour le tirer des griffes de Koya comme il l'aurait fait si par malheur son jumeau était tombé sur Yukio avant lui-même (cette pensée lui fit horreur et il la repoussa de toutes ses forces).

- Je sais que c'est difficile à croire parce que mon frère est acteur hors pair et qu'il a fait exactement ce qu'il fallait pour que tu t'attache à lui un minimum, mais crois-moi, si je te dis tout ça, c'est pour ton bien. Je veux faire pour toi ce que j'ai jamais eu l'occasion de faire pour aucune de ses autres victimes... et elles sont nombreuses. Pour que tu comprenne ce qui le pousse à faire ça, je dois te parler un peu de nous... Avant, Koya et moi on se ressemblait autant au niveau du caractère que sur le plan physique et on avait tendance à en jouer de façon plutôt innocente. Et puis du jour au lendemain, notre frère aîné est parti en nous abandonnant. Je l'ai mal pris, mais Koya... (il s'interrompit le temps de chercher ses mots, puis reprit) Il l'adorait. Vraiment, c'était son idole et il ne l'a pas supporté. Quand il a voulu déménager ici, je l'ai suivi, craignant qu'il fasse des conneries... Mais je dois avouer que j'ai pas été capable de l'empêcher d'en faire. Il a commencé à draguer tout ce qui bougeait pourvu que ça porte un pantalon et puis, bien vite, ça ne lui a plus suffi, alors il a commencé à s'en prendre à tout un tas de garçons d'apparence fragile, faible, ayant des problèmes émotionnels ou en détresse quelconque. Il gardait son caractère initial le temps qu'ils s'attachent à lui et alors, ne supportant pas qu'ils ne soient pas notre frère puisqu'il cherche désespérément son clone parfait -et personne peut l'être- il les abandonnait à son tour comme lui-même avait été abandonné. Le problème étant qu'il se rendait compte systématiquement trop tard qu'il était tombé amoureux de ses victimes qui, forcément, ne voulaient plus entendre parler de lui. Et encore maintenant, il continue tout en sachant qu'à la fin il souffrira tout autant sinon plus que la personne qu'il aura rejetée. Je te raconte tout ça pour que tu comprenne qu'au fond il n'est pas une mauvaise personne mais que... pour le moment et pour je sais pas combien de temps encore... il faut surtout pas tomber entre ses griffes.

Après ce second long monologue, Kaito fixa de nouveau son interlocuteur avec bienveillance. Si après tout ça il n'avait pas compris qu'il devait fuir hors de cette maison au plus vite, c'était qu'il était aussi masochiste que Koya et qu'il se méritaient l'un l'autre, mais au moins, lui-même aurait agi selon sa conscience.
Se dirigeant vers le meuble de l'entrée, il plongea la main dans le pot qui s'y trouvait placé, puis revint et fourra dans la main de son interlocuteur une petite liasse de billets de dix mille yen.

- Je connais pas la nature exacte de tes difficultés actuelles, mais prends ça et fuis hors d'ici. Maintenant, avant qu'il rentre et reprenne son travail sur toi. Avec ça tu pourras prendre une chambre quelque part en attendant de trouver mieux et... (il prit un papier et inscrivit quelque chose qu'il lui donna également) Si tu cherche du travail, présente-toi à ce club. Ils cherchent fréquemment du personnel ou bien des artistes pour les spectacles alors...

Nao écoutait les explications du frère de Koya. Il ne voulait pas y croire, son hôte avait été vraiment gentil avec lui. Trop parfait pour que ce ne soit qu'un rôle. C'était vraiment impensable… Pourtant tout ce que lui disait Kaito semblait aussi réel. S'ils étaient jumeaux, il n'allait sans doute pas dénigrer gratuitement son frère… Alors… Tout ça n'avait vraiment été qu'un jeu ? Il n'en avait vraiment rien eu à faire de lui ? Ça le confortait dans cette idée qui l'avait hanté pendant un bon moment après cette rencontre… Un sous-homme comme lui était destiné à rester seul et à crever dans la misère. Aucune personne saine d'esprit ne daignerait réellement s'intéresser à lui.

Après le choc et l'incrédulité , ce fut un grande tristesse qui envahit le jeune danseur lorsqu'il repensa à sa condition. Il avait caressé un faible espoir de pouvoir en sortir grâce à l'aide de Koya, mais il avait disparu plus brutalement encore. Il n'arrivait même pas à en vouloir à son hôte, c'était lui qui avait été trop crédule, et puis, si ce que son frère disait, peut-être n'était-il pas si méchant…

« … » Nao voulait lui répondre mais aucun son ne semblait vouloir sortir de sa gorge.

Le danseur se retrouva soudain avec une liasse de billets dans les mains. Relevant les yeux vers son interlocuteur, il le regarda incrédule. Pourquoi lui donnait-il autant ? Ça faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu autant d'argent. Osant à peine resserrer ses doigts autours des billets, il remarqua à peine le bout de papier qu'il rajouta.

« Pou… Pourquoi ? C'est… c'est trop… Je… Vous… Vraiment ? Et… Qu'est-ce que je dois faire maintenant ? »

Sentant le ton pressé de son interlocuteur, Nao n'osa pas demander de récupérer ses affaires. Devait-il vraiment s'enfuir ? A priori il n'avait pas le choix… Mais que faire à présent ? Baissant les yeux, il récupéra son vieux manteau usé, n'osant pas aller plus loin dans l'appartement pour récupérer ses loques, il ne savait même pas où ils étaient, ni même s'ils avaient été lavés et séchés. Il chaussa ses vieilles godasses trouées et se retourna vers Kaito.

« M… Merci… Je… je… Merci… »

Il ouvrit alors brusquement la porte et s'enfuit en courant de ce rêve éphémère qui aurait pu devenir sa vie, des larmes s'échappant de ses yeux…